ALBERT JACQUARD FAIT LA DISTINCTION ENTRE LA COMPETITION ET L'EMULATION

Publié le par Tourtaux

 

Albert Jacquard dans le SOD du 25 novembre :

RECUEILLI PAR DOMINIQUE DE LAAGE

d.delaage@sudouest.fr

 

« Sud Ouest Dimanche ». - Quelle distinction faites-vous entre com­pétition et émulation ?

Albert Jacquard. - La compétition, c'est « je ». Je cours contre vous, vous courez plus vite que moi. Cela me désole. Comme je veux arriver premier, j'en prends tous les moyens, y compris la tricherie. C'est cela, la compétition. C'est vou­loir l'emporter sur l'autre, ce que fait presque sans y penser la société d'aujourd'hui.

L'émulation, c'est je cours avec vous, vous arrivez plus vite que moi et loin d'en être désolé, j'en suis tout heureux car vous avez des leçons à me donner sur ma façon de courir. L'émulation, c'est être content d'être dépassé par l'autre dans l'espoir qu'il vous ouvre des possibilités nouvelles. C'est l'exact opposé de la compétition.

Tout le reste découle de cette dis­tinction. Ce que je cherche, ce n'est pas d'être meilleur que l'autre, ce qui n'a aucun intérêt, mais d'être meilleur que moi-même, ce qui est merveilleux

 

-La compétition n'est-elle pas constitutive du sport ?

- Je ne le pense pas. « Sport » est un magnifique mot qui vient d'Angle­terre, dont le propos est de nous faire comprendre qu'il s'agit de s'améliorer soi-même tout au long de la vie.

Cette confusion entre sport et compétition a été exacerbée par la société d'aujourd'hui, qui ne cher­che de source de dépassement de soi-même qu'à travers la confron­tation avec l'autre. C'est absurde. On peut se sentir meilleur que l'au­tre mais ne pas en faire le moteur de toute notre activité.

 

-Vous n'êtes pas un historien du sport. Avez-vous une idée cepen­dant du rapport àla performance dans l'idéal olympique, dans l'An­tiquité?

- D'après des historiens, les cou­reurs ou les sportifs au temps des Grecs essayaient de donner le meilleur d'eux-mêmes. Mais il n'est pas évident qu'ils allaient jus­qu'à employer les moyens de tri­cher, comme c'est devenu courant dans l'approche du sport contem­porain. L'enjeu de civilisation con­tenu dans les jeux grecs était supé­rieur. Il visait à éviter la guerre. La vraie finalité n'était pas d'être premier mais de participer à la paix. Les sportifs d'aujourd'hui qui se réclament des jeux grecs pour ne songer qu'à dominer l'autre tra­hissent le sport.

 

-Vous être très radical...

- Oui. Quand on malmène son corps pour éliminer l'autre, dé­truire l'autre, on aboutit à des atti­tudes néfastes. Les sponsors qui contraignent des jeunes gens ta­lentueux à pratiquer à longueur de journée une seule et même ac­tivité pour gagner de l'argent sont des proxénètes.

Les gens qui raisonnent comme moi sont rares. Mais cela se déve­loppera.

 

- Vous comparez les sportifs de haut niveau à des gladiateurs. À des esclaves, même...

- C'est ce qu'ils sont. On ne les tue pas, du moins pas à chaque fois, mais on leur donne comme objec­tif dans la vie de l'emporter sur l'autre. C'est un message de des­truction. Vouloir gagner, c'est vou­loir fabriquer des perdants. J'ai le droit d'être scandalisé.

Si l'un de mes petits-enfants deve­nait un joueur de tennis de haut niveau, j'en serais triste. Il dévelop­perait bien sûr une capacité à ta­per fort et juste. Mais quel est l'in­térêt ? Un beau jour, il ne saurait plus et serait écœuré.

Laure Manaudou passait six ou sept heures par jour à nager dans une piscine. C'est une condamna­tion qu'on n'aurait pas imposée à un nageur de Carthage ou de Rome.

 

- Pourtant, bien des familles fran­çaises rêveraient d'avoir un cham­pion parmi leurs enfants. Que leur répondez-vous ?

- Que je n'en vois pas l'intérêt, sauf le fric. Cette confusion entre le sport et l'argent est monstrueuse. C'est une erreur sur l'objectif du sport. Passer des heures à devenir champion, au sens où nous l'en­tendons dans la société actuelle, n'apporte rien, sauf la vanité d'être plus fort que l'autre. C'est infantile. Le but d'une vie, c'est de se créer. Là, on propose à des jeunes de con­sacrer cette durée si courte de la vie à une activité ridicule.

 

- Comment réagissent les sportifsde haut niveau àvotre point devue?

- Je me suis rendu à une invitationde l'Institut national du sport, dansle bois de Vincennes. Je ne suis pas arrivé à les mettre en colère contre moi. Ils étaient d'accord. Car ils sentent bien qu'ils vont dans une direction où ils ne se construisent pas eux-mêmes. Où ils sont soumis en permanence. Or, accepter d'être soumis à 20 ans n'est pas bon signe.

 

- Comment expliquez-vous une :elle adhésion de la sociétéàce que vous décrivez comme une dé­fiance ?

- C'est lié au fait qu'on essaie de tout juger en fonction d'un seul nom­bre. Tout tient dans la perfor­mance. Que l'on apprécie avec quelque chose d'unidimensionnel, des notes. Ce qui est unidimensionnel ne peut pas être nuan­cé. Se consacrer à lutter sur un seul critère, c'est se borner à un regard complètement atone et arbitraire. Les chronomètres ne mesurent rien d'intéressant pour nous.

 

- Par quoi substituer le culte de la performance ?

- Par celui du beau jeu, par exemple. Il suffit de changer les règles.

 

- L'esprit de partage et de compéti­tion sont-ils compatibles ?

- Non. Il faut choisir. Quand Alain Mimoun et trois autres cham­pions étaient arrivés groupés au bout d'un 5 000 mètres, l'esprit de partage aurait consisté à les décla­rer tous vainqueurs. L'esprit de compétition conduisit à les dépar­tager au centimètre et au cen­tième de seconde près, avec force photos.

La plus belle course à la voile aura été celle de Bernard Moitessier qui, en 1968, était arrivé pre­mier mais avait refusé de franchir la ligne d'arrivée du vainqueur.

 

- Quel est votre sportif préféré?

- Théodore Monod. Lui a pu traver­ser le désert avec quelques litres d'eau. Sans en faire une source de gloire mais d'entraînement Lut­ter contre soi-même, c'est cela le véritable sport.

Publié dans Lutte des classes

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T
Olivier Imbert : ho c'est pas très grave..ce qui est embêtant c'est la fonction d'autorité savante d'un propos idiot... et le discours sur l'autre et la génétique d'ordre proprement plus<br /> irrationaliste que bien des propos scolastique ou thomiste-aristotélicien de l'église au moment de la première colonisation disons au 16 ième siècle finissant...Comme à l'inverse la soi-disant<br /> dénonciation des "impostures intellectuelles" par un stratagème et une dramatisation médiatique archi-débilitante..le fait qu'aujourd'hui un des deux auteurs essaie de se re-situer de manière plus<br /> matérialiste dans le débat sur les pseudo-sciences..ne m'empêche pas de considérer que là il y avait une avancée du même ordre que le lien avec Bouveresse et à travers le hongrois d'origine<br /> Lakatos, en réalité un retour au social-démocrate anti-totalitaire Popper même avec une sorte de blague logico-chomskienne autour de l'espionnite putative de Wittgenstein et donc au fond un retour<br /> à la pensée rationaliste impérialiste de Mach...
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T
En publiant cet article reçu d'un ami basque, j'ai rigolé en pensant que des égos allaient en prendre un sacré coup.
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T
Et bien Olivier, tu n'y vas pas de main morte. Je suis d'accord avec toi sur l'anticommuniste José Bové qui pense surtout à soigner son égo devenu bien pâle depuis sa calamiteuse et "malheureuse"<br /> candidature lors d'une présidentielle.
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T
Deux commentaires d'Olivier Imbert:<br /> Olivier Imbert: avec moi jacquard a tout faux surtout pas émulation et initiation, plutôt esprit de compétition socialiste de marché..et "le désert et la lutte contre soi-même pour finir le<br /> pauvre".. moi je dis cela :"droit devant" toujours réacs à donf avec le bové...<br /> il y a 2 heures ·<br /> Olivier Imbert c'est comme son antiracisme il est sur l'individu plus con que les cathos de la controverse de valladolid!
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T
"Lut­ter contre soi-même, c'est cela le véritable sport" et composer avec soi-même, c'est cela la sagesse.
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