CUBA, NICARAGUA, PANAMA : VERS UNE NOUVELLE ARCHITECTURE GEOPOLITIQUE DE L'AMERIQUE LATINE
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Article publié sur le dite MEMOIRE DES LUTTES
Il a suffi qu’intervienne la normalisation des relations diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis – qui laisse entrevoir la fin de l’embargo imposé par Washington à La Havane – pour que bougent les pièces sur l’échiquier commercial et géopolitique de l’Amérique latine. Dans ce contexte, le port de Mariel, rénové et élargi, ainsi que sa « zone spéciale de développement » [1], sont appelés à jouer un rôle stratégique majeur. Mariel sera l’un des nœuds par lesquels passeront les nouveaux flux commerciaux qui s’intensifient dans le monde et qui comptent parmi leurs acteurs les plus importants la Chine et l’Amérique latine.
Toutefois, d’autres dynamiques régionales contribuent à façonner la nouvelle configuration de la géopolitique mondiale. Le canal de Panama avait changé celle du monde lorsqu’il fut inauguré il y a un peu plus d’un siècle. A cette époque, les États-Unis avaient repris le projet, qui avait échoué et avorté, de construction du canal par la France. Cela mettait fin à une étape du commerce mondial, pour en ouvrir une nouvelle.
Avant l’ouverture du canal de Panama, la totalité du commerce et de la circulation entre l’Atlantique et le Pacifique se réalisait en effet par le Cône Sud, avec tout ce que cela représentait de perte de temps et de ressources. En reprenant en main le projet en 1903 après son abandon par la France, Washington a poussé à la séparation du Panama avec la Colombie pour donner naissance à un pays qui existerait autour du canal, placé sous tutelle nord-américaine. C’est ainsi que le canal devint la chasse gardée des Etats-Unis durant cent ans.
C’est également de cette manière que surgit ce que les Panaméens appellent « l’avenue du monde », la seule voie de communication entre les deux océans les plus importants de la planète, entre les deux plus importantes régions du monde. Malgré la volonté manifestée par les États-Unis de faire avec la zone du canal ce qu’ils font encore aujourd’hui avec la base de Guantanamo à Cuba, c’est-à-dire en prolonger indéfiniment l’occupation, le dirigeant nationaliste panaméen Omar Torrijos avait exigé le respect de l’accord (Carter- Torrijos- [2]) et obtenu que le canal passe sous contrôle du gouvernement panaméen le 31 décembre 1999. Ce qui n’empêche nullement Washington de continuer à jouer un rôle de surveillance militaire de la zone.
A mesure que le commerce maritime s’est accru, de même que la taille des bateaux, le canal de Panama s’est révélé insuffisant pour assurer les communications maritimes entre les deux océans. Le 22 octobre 2006, le pays approuvait, par référendum national, un projet de modernisation du canal (conclu avec une entreprise espagnole), soit pratiquement la construction d’un autre canal dont l’inauguration est prévue fin 2015. La date initiale a dû être repoussée suite à de difficiles renégociations liées à l’augmentation des coûts des travaux.
Parallèlement à ce projet, s’en développe un autre, beaucoup plus ambitieux en termes de communication maritime et de redistribution des cartes stratégiques. Il s’agit de la construction par le Nicaragua d’un nouveau canal entre les deux océans. Le projet, encouragé depuis longtemps par la géographie même du Nicaragua – un pays qui dispose de grands lacs pouvant être utilisés pour la construction d’un tel ouvrage – va finalement se concrétiser [3].
La responsabilité de sa construction et de son financement a été confiée à un milliardaire chinois et à sa société de travaux publics. Le projet a été élaboré en peu de temps et a recueilli l’approbation du gouvernement du président Daniel Ortega, mais il est confronté à des difficultés dans sa mise en œuvre.
D’une part, la construction de ce canal changera l’avenir du Nicaragua. Avec lui, le pays disposera de son principal instrument de développement économique grâce à son important trafic, d’autant que s’y ajouteront d’autres constructions annexes, entre autres un nouvel aéroport, et une zone franche. D’autre part, des mouvements populaires se sont organisés contre le projet pour protester contre les conséquences qu’entraînera sa réalisation. Il a en effet été conçu sans élaboration d’un plan de réglementation des dommages environnementaux et sans réelles négociations avec les quelque trente mille paysans qui seront déplacés de leurs terres. Le gouvernement et l’entreprise chinoise ont simplement indiqué qu’ils recevront une juste indemnisation. Au moment où devaient commencer les travaux, se sont produites de grandes mobilisations, non seulement dans les zones concernées, mais aussi dans la capitale, Managua, donnant lieu à des affrontements avec la police et à des dizaines d’arrestations.
Un projet de cette envergure, avec toutes ses retombées potentielles, est mis en œuvre avec une absence quasi totale de mesures de prévention des effets que sa construction va entraîner, et il provoque l’hostilité au lieu de susciter la fierté de posséder une telle infrastructure. Le gouvernement peut continuer à répondre aux mobilisations en les faisant réprimer par la police, mais l’occupation par une partie des paysans des territoires sur lesquels devraient commencer les travaux en rend concrètement l’ouverture difficile. Cette situation oblige le gouvernement à d’épineuses négociations de dernière minute avec les paysans qui disent refuser les indemnisations et vouloir rester sur leurs terres.
La construction du canal du Nicaragua aura de nombreuses conséquences, à commencer par la fin du monopole du canal de Panama et de la tutelle des États-Unis sur la circulation maritime interocéanique. En synergie avec le port de Mariel, il va faciliter les flux impliquant des pays qui connaissent une expansion à la fois de leur commerce et de leur influence politique, comme c’est le cas de la Chine et du Brésil.
Les transformations du paysage international, qui seront accélérées par les très importants accords des BRICS signés à Fortaleza au Brésil en juillet 2014 [4], trouvent une expression régionale avec l’inauguration du port de Mariel et les travaux de construction du canal du Nicaragua.
Traduction et annotations : Mireille Azzoug
Edition et annotations : Mémoire des luttes
Source : Página 12
Illustration : Port de Mariel – Cuba
NOTES
[1] Situé à 40 kilomètres de La Havane, ce port est destiné à recevoir les porte-conteneurs « post-panamax » qui peuvent transporter jusqu’à 13 000 conteneurs (ou boîtes). Il vise à placer Cuba au cœur des nouvelles routes commerciales maritimes Atlantique/Pacifique.
[2] Signé en 1977 entre Omar Torrijos et Jimmy Carter, cet accord a organisé la restitution du canal au 31 décembre 1999. Il est désormais placé sous la responsabilité exclusive de l’Autorité du canal de Panama, agence du gouvernement panaméen.
[3] Le projet de canal interocéanique du Nicaragua (278 kilomètres de long) reliera l’océan Atlantique à l’océan Pacifique en utilisant le lac du Nicaragua (ou lac Cocibolca). Il devrait permettre le transit des « post-post-panamax » de 250 000 tonnes mesurant jusqu’à 450 mètres de long et pouvant transporter plus de 14 000 boîtes. Pour la réalisation des ces travaux, le gouvernement de Daniel Ortega a octroyé, en juin 2013, une concession de cinquante ans (renouvelable une fois) à Hongkong Nicaragua Development Investment (HKND), une société dirigée par l’homme d’affaires chinois Wang Jing.
Sur l’ensemble du sujet, lire François Musseau, « Fièvre des canaux en Amérique centrale », Le Monde diplomatique, septembre 2014 (http://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/MUSSEAU/50759 ).
[4] Lire « Les BRICS passent à la vitesse supérieure », Mémoire des luttes (http://www.medelu.org/Les-BRICS-passent-a-la-vitesse ).
http://s147752339.onlinehome.fr/cubacoop/spip.php?page=article&id_article=1972