LE SYNDICALISME REVOLUTIONNAIRE
Le Syndicalisme Révolutionnaire
L'article qui suit vise à donner au lecteur quelques connaissances générales et historiques sur le syndicalisme révolutionnaire, courant spécifique du mouvement ouvrier né à la fin du 19e siècle à la faveur de la méfiance suscitée par les partis politiques aux travailleurs ; il est tombé dans l'oubli presque total du public et reste de faible influence, mais son action et son passé gardent une influence sur la structuration et l’action du syndicalisme. Cela dit, au fil des décennies, il retrouve lentement une audience et se présente comme une nouvelle réponse aux échecs des projets révolutionnaires, de transformation sociale défendue par les partis.
Cet article ne parle pas de tel ou tel syndicat en particulier, les pratiques syndicales des organisations agissant à notre époque feront l’objet d’un article spécifique.
PRÉSENTATION
Le syndicalisme révolutionnaire est une référence mythique dans l’histoire sociale et ouvrière de la France ainsi que dans beaucoup d'autres pays du monde ; sa popularité émerge au tout début du 20e siècle. On retient son discours construit autour de quelques idées centrales : indépendance syndicale et autonomie ouvrière par rapport à l'État, au patronat, aux sectes religieuses et religions, aux partis et organisations politiques, grève générale révolutionnaire, expropriation et réappropriation, fédéralisme et démocratie directe, gestion syndicale de la société future et contrôle ouvrier du communisme qui se présente alors comme étant autogestionnaire.
Bien trop souvent, le syndicalisme révolutionnaire est assimilé à l'anarcho-syndicalisme. Ce dernier, bien que voulant le même but, a une stratégie et une organisation (structure) opposées au syndicalisme révolutionnaire, nous allons y revenir.
Tout d'abord, comme son nom l'indique, le syndicalisme révolutionnaire fait reposer son alternative matérielle et idéologique tout particulièrement sur le syndicalisme.
DÉFINITION
Le syndicalisme est un mouvement qui groupe, par voie d’associations (locales, régionales, fédérales, nationales et internationales), les travailleurs-euses d’une même localité, d’une même région, d’une même profession ou industrie, d’un même pays, de l’ensemble de tous les pays, en vue de la défense commune de leurs intérêts immédiats et futurs, matériels et moraux, professionnels et sociaux.
Évidemment, le syndicalisme comme nous l'admettons ici a déjà une envergure que l'on qualifie « de classe » c'est à dire qu'il est conscient du rôle déterminant du peuple travailleur internationalement organisé et coordonné dans l'association libre que représente le syndicat confédéré pour l'émancipation globale et totale par la lutte de classe.
En effet, le syndicalisme révolutionnaire est une réaction, il apparaît pour contrer et dépasser l'impasse social-démocrate et le modèle syndical corporatif anglais et allemand (sous contrôle du parti socialiste). Modèle qui s'impose aux travailleurs-euses à partir de 1889 avec la création de la Seconde Internationale.
Alors que les sociaux-démocrates/socialistes de parti pensent que c'est justement au parti de prendre le pouvoir et de détruire le capitalisme à coup de réformes institutionnelles, les syndicalistes révolutionnaires, de leur cotés, estiment que le communisme ne peut exister que si c’est la classe ouvrière (organisée sur la base de sa qualité d'exploitée, c'est à dire dans le syndicat) qui prend le pouvoir et qui gère la production des services et des objets nécessaires pour répondre aux besoins de la population.
Donc le syndicat, organisation « naturelle » des travailleurs-euses, prolongement matériel de la volonté prolétaire de faire valoir ses droits et intérêts, est l'outil pour la lutte au quotidien mais aussi et surtout devient la base de l'organisation de demain qui renversera l'ordre établi et placera le nouveau système sous le signe du bien-être, de la liberté et de la solidarité.
Le Syndicalisme Révolutionnaire, fort de sa pratique de lutte de classe au quotidien, a donc cette particularité : l'idéologie découle de la pratique et non l'inverse comme c'est le cas dans les organisations politiques et philosophiques. C'est ce qui lui permet d'avoir toute sa place encore aujourd'hui, d'être une force de proposition et d'alternative constamment en lien avec l'actualité : grâce à son côté pragmatique d'indépendance face aux idéologies pré-construites autour de cercles d'intellectuels et autres avant-gardes philosophiques déconnectées des réalités économiques vécues par les travailleurs. Ceci signifie que c'est l'organisation des travailleurs qui est au fondement de ses orientations, de sa formation politique, des liens de solidarité qu'elle construit : on ne devient pas révolutionnaire en l'apprenant d'une organisation politique, d’une philosophie, on le devient en s'organisant dans un syndicat qui construit l'unité de la classe autour des luttes, de la solidarité, des valeurs du combat par l'affrontement direct avec le patronat.
OBJECTIF ET DISTINCTION DU SYNDICALISME RÉVOLUTIONNAIRE
Le syndicalisme révolutionnaire a également la particularité de vouloir réunir et fusionner les terrains économique et politique. C'est pour cela que le syndicalisme révolutionnaire ne se reconnaît généralement pas dans les désignations « extrême gauche ». Le syndicalisme révolutionnaire considère qu'il n'y a aucune barrière entre « économique » et « politique » autre que celle que mettent en place ceux qui veulent avoir le pouvoir et la gestion de la société à la place des organisations de travailleurs... même si leur discours et leur sincérité n’est pas en cause. Mais les effets sont particulièrement destructeurs, et ce depuis plus d'un siècle.
Les militants politiques de gauche et d'extrême gauche (qu'ils soient de courants léninistes ou anarchistes) se consacrent à la création et au développement d'organisations politiques distinctes des organisations syndicales. Or ils reprennent le même schéma que la social-démocratie, c'est à dire séparer le domaine politique du domaine économique pour prendre le pouvoir. Ils ont donc une vision affinitaire et avant-gardiste de la révolution sociale. Les travailleurs-euses seront forcément perdant-e-s.
La classe se dote d’une culture à partir de pratiques de vie sociale, dans les entreprises mais aussi dans les quartiers. L’un ne va d’ailleurs pas sans l’autre. Comment peut-on soutenir que ce qui se passe à l’usine, dans la boîte et l'entreprise (l'économique) serait du ressort du syndicat et ce qui se passe dans le quartier et la cité (le politique) serait du ressort du parti, alors que dans le même temps on affirme, fort justement, que tout ce qui existe est le fruit de l’activité productive des hommes et des femmes ? On ne peut donc pas séparer vie professionnelle et vie privée, chaque prolétaire s’en rend compte tous les jours, comme on ne peut séparer « domaine économique » et « domaine politique ». Le syndicalisme révolutionnaire est à la fois idéologie et pratique visant à construire un communisme global et au sens premier.
L'argument est le même pour ce qui est de la stratégie. Ces mêmes militant-e-s politiques pensent que c'est de la prise du pouvoir politique par le parti (ou l'organisation politique) que la libération économique et culturelle de la population suivra automatiquement, or à plusieurs reprises l'Histoire nous a démontré que la prise du pouvoir politique n'amenait pas forcément à la libération économique et culturelle du prolétariat et du peuple en général (URSS, Chine, Cuba etc.).
Les syndicalistes révolutionnaires estiment que c'est au contraire, en prenant le contrôle de l'économique par la grève générale expropriatrice, en imposant le contrôle et la gestion directe de la production et des services par les travailleurs-euses eux-mêmes, que le politique sera dès lors paralysé, et que nous pourrons construire un nouveau système à notre portée.
En effet, nous pouvons bien remarquer que le terrain politique ne peut contrôler ou paralyser le terrain économique si les travailleurs-euses font bloc, par contre, le contrôle du terrain économique permet de paralyser et donc contrôler le terrain politique... seul le syndicalisme permet ce contrôle s'il adopte la dimension « de classe » et la perspective révolutionnaire dans un but socialiste.
Et pour ce faire, le syndicalisme révolutionnaire se dote d'une structure particulière qui peut se substituer aux institutions actuelles à tous les niveaux de la société (voir l'article sur les Bourses du Travail et celui à venir sur les Unions Locales). Le Syndicalisme Révolutionnaire n'est donc historiquement et idéologiquement pas lié à l'anarcho-syndicalisme et ce pour plusieurs raisons. Tandis que l'anarcho-syndicalisme prône à tout prix l'existence de l'organisation spécifique anarcho-syndicaliste, le syndicalisme révolutionnaire lui, prône la constitution en tendance à l'intérieur de la confédération syndicale qui aura le plus d'outils approprié pour avoir une pratique « de classe » (l'interprofessionnel) et donc amener les travailleurs-euses à une conscience de classe homogène qui amène à la conscience révolutionnaire. Tandis que l'anarcho-syndicalisme assume et revendique une identité philosophique (anarchiste/libertaire), excluant d'emblée une unité autour de la condition de travailleur au profit de l'union autour d'une idéologie.De son coté, l'anarcho-syndicalisme est historiquement un combat affinitaire et idéaliste qui est apparu pour contrer les communistes pro-parti accusés de noyautage dans la CGT française et la CNT espagnole aux alentours des années 1920 et ceci afin de garder ce qui leur apparait être la pureté du syndicalisme révolutionnaire. Cette stratégie se soldera par des scissions à répétitions amenant la création des différentes confédérations et unions syndicales se revendiquant du syndicalisme de lutte ou du syndicalisme de classe que nous connaissons aujourd'hui, contribuant à confiner le syndicalisme révolutionnaire dans un milieu réduit et fortement marqué par l'idéalisme. L'anarcho-syndicalisme fera l'objet d'un article ultérieur.
MOYENS D’ACTION
Le syndicalisme révolutionnaire préconise un travail de diffusion, de formation et de pratique à l'intérieur de la grande confédération syndicale elle-même à l'intérieur du prolétariat. Le syndicat constitue, alors, avec ses réalisations quotidiennes (luttes, réseaux d'entraide, presse militantes, action culturelle, conquêtes sociales, mutualisme, coopérativisme, éducation ouvrière) comme l'embryon d'une contre-société ayant vocation à se généraliser. Parce que le syndicat est un lieu de représentation et de formation prolétarienne, il est à même de diffuser le modèle de prise de pouvoir par les travailleurs.
La forme d’organisation syndicale préconisée par le syndicalisme révolutionnaire est le syndicat d’industrie (souvent nommé syndicat local à notre époque), il rompt avec la logique du syndicat d’entreprise et vise à organiser les travailleurs au delà du repli de leur lieu de travail, il construit des liens de classe de boite en boite et constitue de façon spontané une étape féconde vers le syndicalisme interprofessionnel.
Le syndicalisme révolutionnaire défend le Front unique de classe comme outil indispensable : le syndicat étant l’organisation naturelle d’organisation et d’action des travailleurs, il est le mieux placé pour les réunir au delà des appartenances et divergences idéologiques : il préconise donc l’union des courants qui traverse la classe ouvrière dans une pratique de classe, l’action syndicale par l’affrontement direct (sans délégation à l’action politique). Cette logique de Front unique n’a de chance d’être effective qu’a la condition que le syndicat défende l’indépendance syndicale. En effet, la garantie que les travailleurs puissent se réunir dans une organisation de lutte sans conflit d’appartenance politique suppose que le syndicat reste préservé des controverses et tentatives de mise sous tutelle d’une organisation un d’une idéologie particulière.
RÉSUMÉ
Ce qu'il faut retenir :
Le syndicalisme révolutionnaire n'est pas un courant syndical quelconque constitué de militants qui se réclameraient d'une appartenance révolutionnaire. Le syndicalisme révolutionnaire est une position doctrinale à part entière qui fait du syndicat le fondement du mouvement révolutionnaire sur la base des liens de classe et de luttes qui se construisent entre travailleurs, liens qui trouvent une forme dans l'organisation naturelle des salariés que constitue le syndicat.
Le syndicalisme révolutionnaire dénonce la séparation des appareils de lutte en deux pôles : syndicat et parti. Le parti fait déléguer l'action politique à une organisation qui n'est pas une organisation de luttes sociales mais un espace de controverses, de débats et de conquête du pouvoir séparé des luttes sociales. En outre, le parti favorise l'émergence d'une classe de spécialistes de la politique, classe généralement recrutée dans les couches favorisées et qui vont opérer un ascendant politique sur les travailleurs qu'ils prétendent représenter.
Le syndicalisme révolutionnaire impose, dans sa démarche, le développement de l'éducation, la formation des travailleurs, l'action irremplaçable de l'éducation populaire et ouvrière, les actions d'entraide de classe, les actions de solidarité politique etc. En effet, la lutte contre la société bourgeoise exige qu'une lutte culturelle, des valeurs soit menée sans relâche et dès maintenant. Le combat culturel, loin d'être un accessoire ou une dimension anecdotique est un aspect essentiel pour combattre aujourd'hui et gagner le ralliement de la classe ouvrière désinvestis des comportements et valeurs de la bourgeoisie. Une classe de travailleurs formée, dont l'autonomie ouvrière est développée, c'est a dire peu sujette à la tutelle de la bourgeoisie, gagnera en force et en conviction pour faire passer le sens des luttes immédiates à celle de la grève générale, grève révolutionnaire de nature à réorganiser la société.
En effet, le syndicalisme révolutionnaire considère le syndicat comme l'unité organisée la mieux à même d'organiser le contrôle ouvrier de l'économie en cas de révolution : les travailleurs, organisés au niveau de l'entreprise, de la profession, de l'industrie et de la localité seront les mieux préparés à assurer la production des produits et des services dans un système autogestionnaire.
MOTS-CLEFS
Mouvement ouvrier
Syndicalisme révolutionnaire
Autonomie ouvrière
Social-démocratie
Vision affinitaire
Avant-gardiste
Bourses du Travail
Indépendance syndicale
Lutte de classe
Unions Locales
Anarcho-syndicalisme
Tendance
Syndicat d’industrie
Front unique
Education
Lutte culturelle
Entraide de classe,
Autonomie ouvrière
Contrôle ouvrier
Grève générale
Système autogestionnaire
