LES DEPITES ONT VOTE TRANQUILLEMENT LA LOPPSI 2

Publié le par Tourtaux

Interdiction du territoire : acte III de la « double peine »

Vendredi 18 décembre 2010. Deuxième et dernière séance du débat sur la loi LOPPSI 2. Les débats – qui étaient prévus pour une durée plus que restreinte, compte tenu de la variété et de l’importance des thèmes traités  – sont sur le point de s’achever ... avec plus d’une journée d’avance.
Il ne reste plus qu’un détail à expédier : la question de l’interdiction du territoire pour les étrangers ayant commis un crime.
Vous avez dit : « un détail » ! Mais … cela ressemble fort à cette « double peine » que N.Sarkozy, en 2003,  avait contribué à ranger au grenier des vieilles lunes de la droite intransigeante.
Ce « détail », c’est en fait l’acte III du débat sur la « double peine »

 


Retour  arrière :
Acte I (2002) : « une bonne droite de derrière les fagots ! »
Acte II (2003) : sur recommandation de N.Sarkozy, les députés de droite votent – la mort dans l’âme, pour certains – la fin de la double peine
acte III (2010) : la revanche.

Acte I : « une bonne droite de derrière les fagots ! »


Nous sommes en novembre 2002. Les socialistes ont déposé une proposition de loi visant à assurer la « protection des étrangers contre les mesures d'éloignement du territoire »
En effet, ces derniers – s’ils ont été condamnés à la prison - peuvent être expulsés, du territoire français quelle que soit la raison de leur emprisonnement, une fois qu’ils ont purgé leur peine. C’est ce qu’on appelle communément : la « double peine ».


« La proposition de loi que nous soumettons aujourd’hui à la discussion de notre assemblée – c’est C.Careshe, le rapporteur  qui parle - vise à protéger certaines catégories d’étrangers des mesures d’éloignement du territoire, en raison de leurs liens familiaux et privés avec la France.
    C’est un sujet douloureux et controversé. En effet, comment ne pas être sensible à la situation de ces étrangers qui, ayant purgé leur peine, sont séparés de leur famille, expulsés vers des pays avec lesquels ils n’ont plus aucune attache et qui ont perdu bien souvent jusqu’au souvenir de leur langue maternelle
? »

Le débat sera âpre, tendu, sans concession ... 

 Extraits :

« J. Leonetti.   La  loi en vigueur est bonne dans son principe. Il nous paraît normal, même si cela choque quelques oreilles virginales, de renvoyer chez eux des étrangers délinquants. Qu’y a-t-il de pénalisant à rentrer chez soi ? »

« J.P.Grand. O
n ne peut pas tout à la fois défendre la famille et accepter que les trafiquants de drogue restent sur notre territoire.
[…] Quand on a la chance d’avoir une famille, quand on souhaite la protéger, ne pas mettre en péril son équilibre, on ne verse pas dans le grand banditisme. On ne commet pas de hold-up, on ne fait pas de trafic de drogue. […]
P
ourquoi un étranger résidant depuis de nombreuses années sur notre territoire n’a-t-il pas pendant tout ce temps, sollicité sa naturalisation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle.) Dans le cas des trafiquants de drogue, poser la question, c’est y répondre. »

... ce qui fera dire à J.Glavany que nous nous trouvons en face d’« une bonne droite de derrière les fagots ! »

Voir la chronique de ce débat dans « la question des étrangers (trois débats/ fin 2002) /
2. Le consensus à l’épreuve de la double peine

 

Acte II : les députés de droite votent
– la mort dans l’âme, pour certains –
la fin de la double peine ( sauf cas de terrorisme ou d’espionnage)

 

Quelque part, derrière les fagots, un député UMP – E.PINTE - ne ménageait pas sa peine pour tenter de convaincre ses collègues qu’ils faisaient fausse route :

« Ces membres de la communauté nationale n'ont-ils pas droit, au même titre que tout citoyen français ayant commis les mêmes fautes, au pardon ?
    Ils sont algériens, espagnols, tunisiens, portugais, marocains, turcs et j'en passe. Ils sont nés en France ou arrivés en France à l'âge d'un an, quatre ans, sept, huit ou neuf ans. Ils sont pour la plupart mariés à une Française, ils ont des enfants français, ils ont toute leur famille en France.[…]
    Certes, ils ont commis des délits. Ils ont été condamnés, ils accomplissent ou ont accompli leur peine. Ils ont payé, comme on dit, leur dette à la société. Faut-il en rajouter, au prétexte qu'ils sont de nationalité étrangère, alors que toute leur vie est depuis très longtemps en France ?
    Faut-il nous retrouver un jour face à tous ces enfants qui nous jetteront à la figure : qu'avez-vous fait de nos pères ? Faut-il rendre la vie impossible à toutes ces femmes, à toutes ces mères que l'on aura privées de leur mari ? A toutes ces questions, ma réponse est non. »
[ Voir de larges extraits des interventions d’E.PINTE en 2002 et 2003
sur mon autre blog/ morceaux choisis/ Double peine : le plaidoyer contre de E.PINTE/UMP]

Mais les choses seraient restées en l’état si le ministre, N.Sarkozy, dès 2002, n’avait pris une position ferme sur cette question, en n’hésitant pas à aller à contre-courant de sa majorité :

« Pourquoi est-ce que je vous propose cette réforme ?
Parce que ce sujet occupe la vie politique de notre pays depuis des années, où chacun s'en saisit sans savoir ce qu'il y a derrière. C'est un symbole, un totem et une posture. Les uns sont généreux grâce à cela, les autres sont inhumains à cause de cela
. […]
    Personne ne doit douter de ma volonté de mettre en place une politique ferme, mais j'appelle l'attention de tous les membres de la majorité notamment sur le fait que nous ne pourrons le faire sans problème, sans être caricaturés, que si nous prenons soin de ne pas confondre fermeté et injustice. Bien souvent, et je le dis en prenant ma part de responsabilité, la droite républicaine et modérée n'a pas su faire la différence devant l'opinion publique entre ce qui était nécessaire, juste, et ce qui était trop, et elle s'est caricaturée. Elle s'est ainsi condamnée à l'immobilité.
[…]
    La double peine fabrique des clandestins parce que nul pays n'accepte d'accueillir ses ressortissants sur le papier alors même qu'ils n'y ont jamais vécu. […]
    Par ailleurs, il est des étrangers qui vivent sur notre territoire, qui sont mariés à une Française, qui ont des enfants français. Ils font une bêtise. Ils sont condamnés, et ils vont en prison. Et ils ont sur la tête une décision d'expulsion. Si le ministre de l'intérieur, quel qu'il soit, exécute la décision d'expulsion, qui punit-il ? La femme française et les enfants français. […]
    Enfin, c'est le ministre de l'intérieur qui vous le dit, nous n'avons pas besoin de la double peine pour lutter contre l'insécurité ou pour maîtriser les flux migratoires. La double peine n'a jamais servi à cela. »

[Voir intervention de N.Sarkozy/ débat de juillet 2003 sur l’immigration : http://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2002-2003-extra/20031017.asp#PG11 ]

Bon gré, mal gré, les députés de droite récalcitrants vont se ranger du côté de celui qui apparaît, plus que jamais, comme leur chef, leur leader, leur (bonne) étoile.

Tel est le cas de J.P. Grand :
«  Je ne reviendrai pas sur mes interrogations - qui sont celles d'un très grand nombre d'entre nous - concernant les raisons qui motivent les étrangers vivant depuis longtemps sur notre territoire à n'avoir jamais désiré devenir Français.
     Je souhaite simplement rappeler, au moment où nous abordons cet important article du projet de loi, que je réclame qu'il soit fait preuve de la plus grande sévérité envers les étrangers qui vivent et font vivre leur famille sur notre territoire en se livrant au trafic de la drogue. La France doit se protéger contre ces criminels sans excuses.
    Pour autant, j'ai entendu le plaidoyer de ceux qui militent contre ce que l'on appelle à tort la double peine, et j'ai compris leurs arguments. Il est indéniable que, dans certains cas, l'interdiction du territoire français n'est pas la bonne solution.
    En revanche, il est d'autres cas où elle semble s'imposer
. […]
    Ces trafiquants de drogue, [qui]  sont des dangereux criminels et, dans ce cas, les membres de leur famille sont des complices inexcusables,   j'estime que nous devons les expulser de notre territoire, même s'ils résident en France depuis dix ans ou plus. C'est le mandat que nous ont confié nos électeurs.
    Pour autant, je n'oublie pas les valeurs de tolérance, d'humanisme et de fraternité qui fondent nos principes républicains et qui ont toujours inspiré ma vie publique. Je n'oublie pas non plus, monsieur le ministre, que le débat qui s'est engagé sur ce sujet, débat qui est tout à votre honneur et celui du gouvernement de la République, nous a permis de nous écouter mutuellement, d'échanger.
 »

 

acte III : la revanche.


« Non ! Cela n’a rien à voir avec la double peine. » ne cesse de répéter J.P.Garraud, l’orateur qui défend – au cours de cette dernière séance du débat sur la LOPPI 2 - cette mesure au nom d’un groupe de députés qui se donne le nom de « Droite populaire » et dans lequel nous retrouvons des personnages déjà repérés « derrière les fagots » chers à J. Glavany : J.P. Grand, A.Bénisti … 

Rappelons-nous ce que ce dernier disait lors du  premier débat sur la double peine en 2002  :
« Lorsqu’un criminel de nationalité étrangère commet des actes très graves sur le sol français, on doit, de façon naturelle, se poser la question de son maintien sur le territoire national à l’issue de la purgation de sa peine.[…] Il ne s’agit en aucune façon d’une sanction automatique ; il ne s’agit en aucune façon d’une double peine. »

Cà n’est pas une « double peine » … mais çà en a les ressorts … la couleur et l’odeur, pourrait-on dire si on n’avait pas peur de s’exposer aux véhéments reproches de N. Mamère [rétro-débat sécurité (2) ] !

Le même A.Bénisti ne disait-il pas,au cours du même débat :
« J’en reviens à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, plus communément appelée "proposition tendant à abolir la double peine". Il s’agit en fait de supprimer une sanction complémentaire, en l’occurrence l’expulsion du territoire français que vous considérez, pour des raisons idéologiques et politiques, comme une double peine.[…]
Ça sert à rien. La vraie peine, c’est la sanction d’expulsion. » 
?

Revenons à l’argumentation de J.P.Garraud :
«  Je vais tâcher de décrire simplement et avec objectivité le dispositif prévu par l’amendement. Il vise à permettre à un président de cour d’assises – juridiction suprême en matière criminelle et, par conséquent, pour les seuls faits les plus graves –, de poser, lors du délibéré avec les jurés, une question supplémentaire à celles qu’il pose d’ordinaire. Il pose d’abord la question de la culpabilité, puis, lorsque cette dernière est retenue, celle de la peine à prononcer.
L’amendement vise en particulier un crime commis par un étranger. Lorsqu’un criminel de nationalité étrangère serait traduit devant une cour d’assises pour des affaires particulièrement graves – des crimes –, le président de la cour poserait une question supplémentaire relative à l’interdiction du territoire.
 »

Puisque l’expulsion du territoire – version 2002 et ante (il s’agissait d’une mesure administrative) – n’a plus force de loi, il convient – nous dit J.P.Garraud – d’y substituer une décision de justice, prise au nom du peuple par le jury de la cour d’assise.

« Lorsqu’un criminel de nationalité étrangère commet des actes très graves sur le sol français, on doit, de façon naturelle, se poser la question de son maintien sur le territoire national à l’issue de la purgation de sa peine. Cette question, je souhaite simplement qu’elle soit posée aux jurés, qui sont, inutile de vous le rappeler, l’expression du peuple souverain. La juridiction de la cour d’assises est une juridiction suprême : on ne peut pas mieux faire qu’une décision du peuple. »

Et puis, ajoute-t-il,  « il s’agit d’une possibilité de peine complémentaire. Et nous savons tous que les peines complémentaires sont inscrites dans le code pénal et dans le code de procédure pénale depuis très longtemps. […]
Il n’y a donc aucun ajout en ce qui concerne les infractions. La seule différence avec ce qui se passe actuellement, c’est que le président de la cour d’assises poserait systématiquement la question lorsqu’un criminel de nationalité étrangère serait impliqué. Cet élément est important et je pense que les jurés doivent en débattre. »

Les députés de l’opposition défendent un «  amendement de suppression 
(Petit point de procédure : depuis la réforme du règlement de 2009, c’est le texte de la commission qui vient au débat en séance ; or, les députés de la droite libérale avaient fait le plein lors de ladite commission, tant et si bien que l’amendement instituant ce dispositif en cour d’assise a été adopté. Le seul moyen de s’y opposer est effectivement de défendre un amendement de suppression.

Premier argument :
«  Les promoteurs [de cet amendement] le défendent ouvertement dans les médias, mais pas dans cet hémicycle, comme "un amendement de bon sens" s’inspirant du "bon sens" des référendums qui ont eu lieu en Suisse.  […]
Il s’agit donc là d’un clin d’œil en direction de ce qui s’est passé en Suisse, un clin d’œil au Front national. C’est le seul objet de cet amendement. » [D.Batho/ Mme]

Deuxième argument :
« Cet amendement n’apporte rien. Ce qu’il met en exergue est une possibilité qui existe déjà. Il faut donc essayer de le décrypter. À partir du moment où l’on met quelque chose en exergue, on est dans le domaine du symbolique, on veut faire impression sur l’opinion. […]
C’est de désigner l’étranger comme suspect et criminel a priori. Si l’on est criminel et qu’en plus on est étranger, alors… » [P.Braouzec]

Troisième argument ( en fait, une autre version du précédent):
« Pourquoi ne proposer de poser la question aux jurés que sur une seule peine complémentaire ? On pourrait imaginer, dans la logique de votre amendement, de poser à chaque fois la question des différentes peines complémentaires possibles. Pourquoi poser celle-ci, sur ce thème-ci ?
C’est bien qu’il y a une volonté de votre part de pointer un problème particulier, qui concerne les étrangers.
Vous auriez pu proposer un amendement prévoyant que, aux jurys d’assises, l’on pose la question sur toutes les peines complémentaires : voulez-vous, ou pas, les appliquer ? Cela aurait manifesté la volonté de toucher l’ensemble de ceux qui pourraient éventuellement être condamnés. Dès lors que vous ne parlez que des étrangers, en ne visant que l’interdiction du territoire, on voit bien à qui vous vous adressez. 
» (F.Pupponi)

Je ne partage pas l’enthousiasme de D.Batho quand elle s’exclame, à la fin de l’intervention de son collègue socialiste : « M. Pupponi est brillant !» . Je trouve que les député(e)s de l’opposition ont été bien faibles dans leur argumentation.
J’aurais aimé réentendre, dans leur bouche, quelque chose qui ressemble au plaidoyer de E.Pinte :
« Ces membres de la communauté nationale n'ont-ils pas droit, au même titre que tout citoyen français ayant commis les mêmes fautes, au pardon ? […]
Faut-il nous retrouver un jour face à tous ces enfants qui nous jetteront à la figure : qu'avez-vous fait de nos pères ? »

Les argument du type « il s’agit d’une peine complémentaire … et çà existe déjà » me font penser à cet échange, lors du premier débat sur la double peine :

«  -J.Leonetti.
Avant d’engager le débat sur le fond, je tiens à souligner combien l’expression communément employée de "double peine"» nous paraît abusive.
En réalité, il s’agit de mesures complémentaires destinées à protéger la société, et dont il existe d’autres exemples dans notre droit positif, et pas seulement en droit pénal. Ainsi, la confiscation d’un objet, l’inéligibilité, le retrait du permis de conduire peuvent être des mesures d’accompagnement d’une sanction pénale.
Vous dites, messieurs, que seuls les étrangers subissent l’éloignement. Je vous répondrai que seuls les conducteurs subissent le retrait du permis de conduire. 
[ plus tard dans le débat]
- E.Pinte. Je suis profondément choqué d’avoir entendu  [certains] orateurs comparer  [la double peine] à une suspension de permis de conduire. De grâce, mes chers collègues, de telles réflexions ne sont pas dignes quand il s’agit de l’exil de certains hommes ! »

Compte rendu intégral de la 2° séance du 16 décembre 2010
http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2010-2011/20110086.asp#P980_132648

Publié dans Politique

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T
<br /> Je ne l'avais pas encore vue celle des "débités"<br /> <br /> <br />
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T
<br /> Alors là Valérie, tu vas vite en besogne pour arriver déjà à Loppsi3<br /> <br /> <br />
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V
<br /> Une chambre de "débités" ?<br /> <br /> <br />
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V
<br /> Loppsi 3 ? C'est l'extermination.<br /> <br /> <br />
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T
<br /> Ce qui est grave, c'est que beaucoup trop de personnes se foutent de tout. Pour certaines, seule compte désormais l'arnaque sur le dos des gens. Il faut dire que pour ceux qui en arrivent là, ceux<br /> qui gouvernent le pays, sont un exemple de cas d'école.<br /> <br /> <br />
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