MOHAMED BOUHAMIDI : LE GAZ DE SCHISTE ET LA SOCIETE LISSE DE LA COMMUNICATION
Par Mohamed Bouhamidi
Le reproche fait au gouvernement algérien (le pouvoir, c’est autre chose) d’avoir commis une erreur de communication sur le gaz de schiste provient directement des experts. L’opposition a repris la critique à son compte sans en mesurer la première conséquence : la disqualification des politiques dans la formulation des termes des débats sur les grandes questions nationales ou sociales.
Ce transfert vers les experts de la compétence à parler est déjà une réalité massive en Occident où experts cathodiques et autres producteurs de « valeurs » tracent tous les jours les contours du politiquement correct que les politiciens vont jurer d’en être les meilleurs interprètes dans leurs programmes et leurs projets. Cette délégation aux experts de la tâche de « fabrication de la pensée et du discours correct » marche car toute la superstructure idéologique et les appareils du pouvoir médiatiques fonctionnent en cohérence avec ce but.
Nous sommes loin de cette « ingénierie » dans notre pays et les fautes en communication de notre pouvoir ne sont pas des erreurs d’incompétences. C’est une démarche cohérente avec ses postulats de base que nous sommes une société et un peuple uni et donc sans besoin de cette technique pour persuader les populations que les décisions qui travaillent les intérêts des castes au pouvoir sont les intérêts de la société en général.
Pourtant les experts partagent avec le pouvoir ce postulat d’une société sans antagonisme mais d’un autre point de vue, tout a à fait opposé, car comme les sophistes de l’époque de Socrate, ils se font forts de défendre n’importe quelle thèse et au besoin son contraire.
La puissance est dans le Verbe et il s’agit de subjuguer la raison des auditeurs et non pas dans des forces organisées comme l’Etat, les compagnies pétrolières, les clans et les groupes d’intérêts etc. Mais parler ainsi consiste surtout à empêcher les Algériens de rejoindre la protesta en les persuadant que les seuls acteurs en présence au Sud sont un gouvernement incompétent et des « sudistes » induits en erreur.
Pourtant l’examen le plus superficiel montre que, derrière la scène, travaillent des intervenants à la puissance phénoménale, entre ministres envoyés en mission chez nous et multinationales championnes en subversions et corruption, sans que nous ayons la moindre chance de connaître leurs démarches, leurs actes ou leurs négociations secrètes avec nos différents responsables.
Le terme même de communication comme solution adaptée présuppose une égalité d’audience et de publicité de chacun des camps en présence. Les experts nous cachent une formidable inégalité des forces en présence. Ils nous cachent surtout qu’il s’agit de forces. L’une, le pouvoir, est déjà constitué de longue date et dont on ne sait s’il s’agit, dans cette affaire, d’une force unique et homogène ou d’une coalescence de pouvoirs aux intérêts enchevêtrés mais distincts. L’autre, le mouvement de contestation, est nouvelle, encore fragile et aux identités encore en travail mais porteur d’une formidable résurrection de l’idée d’intérêt national.
La question clé demeure dans cette configuration de savoir quelles forces restent animées par des ressorts strictement nationaux et quelles forces sont déjà dans des dispositions compatibles avec des intérêts compagnies étrangères du gaz et du pétrole.
Dans cette hypothèse d’un monde lisse sans contradictions ni antagonismes, le diagnostic des experts peut apparaître comme une offre de service des compétences de télé-évangélistes du gaz de schiste. Il est surtout une des marques d’impatience d’élites désespérées de ne jamais accéder au pouvoir et faire passer le pays de la gestion de « ceux qui peuvent par la force de l’histoire concrète à ceux qui peuvent par le savoir ».
M.B