POUR LA GAUCHE RADICALE, "ELECTIONS, PIEGE A CONS" ?

Publié le par Tourtaux

Pour la gauche radicale, "élections, piège à cons" ?

 

Créé le 28-02-2012 à 16h21 - Mis à jour à 17h27    

Sylvain Boulouque, Historien, décrypteur de la gauche radicale pour
Par Sylvain Boulouque, Historien, décrypteur de la gauche radicale pour "Le Nouvel Observateur"

Paradoxe : la gauche radicale compte dans ses rangs plusieurs candidats, mais aussi des partisans de l'abstentionnisme, voire le refus du vote.


 
 

Plusieurs candidats de la gauche radicale se présentent aux élections. Certains les considèrent comme une tribune pour faire passer leurs idées, se compter et utiliser les médias pour appeler à la lutte et d’autres appellent à la révolution par les urnes. Dans le même temps, la question de l'abstentionnisme, voire du refus du vote, revient dans une partie de la gauche radicale.

Jean Salem (1), figure universitaire de la gauche radicale, animant un séminaire sur Marx au XXIe siècle, s’interroge à haute voix dans un essai récent sur le sujet. Sa conclusion : le vote a perdu  sa valeur car les sondages et la caste politique le confisquent. Il ne reste que l’illusion du choix, les élections ne pourraient à nouveau être utiles que s’il existait un parti révolutionnaire structuré qui puisse reprendre la fonction tribunitienne du PCF. La revue "Vacarme", l’une des revues en vue de la gauche radicale culturelle, intellectuelle et universitaire, vient de publier un manifeste expliquant que le vote est un outil qu’il est nécessaire de s’approprier. L’arrivée de la gauche permettrait un retour de la "conflictualité" et de l’affirmation de la citoyenneté. Une autre revue du même type, "Lignes", d’approche plus littéraire et philosophique, qui rassemble des auteurs venus de différents horizons de la gauche radicale, oscille entre trois pôles : l’abstention, le vote par défaut et l’hypothétique émergence d’un parti révolutionnaire. Ces prises de positions trouvent leur justification dans l’histoire lointaine des gauches radicales.

Le refus du vote est traditionnellement porté par les organisations libertaires. Depuis les origines du mouvement, les anarchistes sont hostiles à l’élection en raison d’expériences malheureuses. En 1848, Pierre Joseph Proudhon, l’un des pères de l’anarchisme, est élu à la chambre des députés. L’infortune s’en suivit : le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte et l’inutilité des représentants ont fait que Proudhon théorise l’abstentionnisme. Le refus de participer devient systématique après le Manifeste des soixante. Ces ouvriers proches de Proudhon appellent à des candidatures séparées puisque, par leur statut, les ouvriers étaient exclus de la vie publique. La tentative s’est soldée par un échec. Entre 1890 et 1914, âge d’or de l’anarchisme, les libertaires conseillent la grève des électeurs - selon la formule d’Octave Mirbeau - présentent des candidats abstentionnistes ou refusent le vote dénonçant "l’électeur criminel", selon les mots d’Albert Libertad. Cette pratique s’est maintenue depuis la fin du XIXe siècle. Le refus de l’électoralisme est  spécifique à l’anarchisme. Il est professé au nom du droit de chaque individu à décider de son avenir et à participer aux décisions collectives. Le déclin de l’anarchisme entraîne l’oubli de cette pratique.

Les partis léninistes ont toujours pris part aux élections. Pour les bolcheviks, les élections offrent une tribune, permettant d’attaquer les vices du tsarisme. Par extension, les tribunes électorales sont utilisées pour dénoncer la "démocratie formelle" et condamner la "dictature bourgeoise". Par ailleurs, dans les démocraties occidentales, les fondateurs des Partis communistes à l’image de Marcel Cachin appartiennent à ce noyau d’élus socialistes passés au communisme. Le Parti communiste reprend deux éléments : la tribune et l’héritage socialiste de conquête du pouvoir par les urnes. Dès lors, la question de la présentation et de la participation aux élections ne s’est pas posée. Les communistes, au nom de la stratégie de conquête du pouvoir, en ont fait une nécessité.

Bien qu’extrêmement faibles numériquement, les trotskistes utilisent la même stratégie que leurs rivaux staliniens. Ils insistent plutôt sur l’héritage historique du bolchevisme. Les candidatures trotskistes prennent leur envol médiatique dans les années 1970 grâce aux campagnes en 1969 et  en 1974 d’Alain Krivine et en 1974 d’Arlette Laguiller. Si elles se sont installées durablement dans le paysage, ces candidatures ont été en contradiction avec les slogans libertaires portés dans l’après 1968. Une époque où le slogan "élections pièges à cons", la contre-culture et les modes de vie alternatifs sont mis en avant bien plus que la participation électorale. C’est sur cette vague que les maoïstes ont tenté de surfer prônant l’abstention révolutionnaire et condamnant cette "illusion bourgeoise". Le philosophe Jean-Paul Sartre, suivant en cela les maoïstes, reprend le slogan "élections piège à cons" dans un éditorial des Temps modernes (n°318, janvier 1973), expliquant que le vote dissout le pouvoir du peuple(2)

Ce cheminement historique explique bien des prises de positions actuelles. Derrière les mots et les slogans d’aujourd’hui, se cache une histoire centenaire.

(1) Jean Salem, est le fils du communiste orthodoxe Henri Alleg. Il s’inscrit dans la lignée familiale. Il est l’auteur notamment d’une défense et illustration de Lénine (Lénine et la révolution, Paris, Encre marine, 2006) et a recueilli les propos de Jeannette Versmeersch la femme de Maurice Thorez. Cette dernière y déclarant notamment que Staline avait certes commis des erreurs mais bien conduit l’URSS. (La vie en rouge, Paris, Lattès, 1998).

(2) Ian Birschall, Sartre et l’extrême gauche (Paris, la fabrique, 2011) rapproche de l’abstentionnisme de Sartre de celui des libertaires alors qu’il s’agit d’une méfiance proche de celle des léninistes, certainement inspirée par l’un des dirigeants de la Gauche prolétarienne Benny Lévy.

Sylvain Boulouque, Historien, décrypteur de la gauche radicale pour Par Sylvain Boulouque, Historien, décrypteur de la gauche radicale pour "Le Nouvel Observateur"

http://tempsreel.nouvelobs.com/l-observateur-de-la-gauche-radicale/20120228.OBS2484/pour-la-gauche-radicale-elections-piege-a-cons.html

Source : Michel PEYRET

Publié dans Lutte des classes

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G
je ne partage pas du tout...<br /> je prends le train en marche, car hier, je n'ai pas pu répondre à ce texte.<br /> lors des dernières élections nous en avons déjà parlé..<br /> le droit de vote est une liberté.. on vote pour qui on veut, même nul... mais on vote.<br /> dans certains pays, certains (es) y ont laissé la vie pour avoir ce droit.<br /> nous les femmes, nous n'avons eu ce droit qu'en 45. je n'ai jamais loupé un vote. et je n'en louperai jamais.<br /> et si l'on veut que les votes blancs soient comptabilisés ce n'est pas en se mettant un bandeau devant les yeux que nous y arriverons.<br /> je ne vois pas ce que cela vous apportera de ne pas voter.<br /> c'est une démission. et c'est facile.
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T
<br /> <br /> Lorsque j'étais au parti, je raisonnais comme toi et avec autant de vigueur mais après maintes réflexions et au fil des ans, j'ai compris que dans un système capitaliste, il ne peut y<br /> avoir d'élections libres, donc démocratiques. Lorsque leur porte-drapeau est grillé, comme le fut Bush aux USA et maintenant Sarkozy en France, ils transfèrent leurs pouvoirs à la gauche de<br /> la droite, c'est-à-dire aux socialistes et à leurs satellite; jE NE VAIS PAS REPRENDRE TOUTE MON ARGUMENTATION MAIS TU LA TROUVERA DANS L'ARTICLE QUE J'AI REDIGE ENTRE 4/5h du<br /> matin. Sans le faire exprès, il est aligné sur le texte que j'ai publié tout à l'heure, signé de nos camarades Jean-François Autier et Michel Peyret. Sur le vote blanc, je crois que nous en avons<br /> parlé. Comme lors de chaque élection, tous les partis veulent s'attibuer les votes blancs. Je ne veux pas que mon bulletinj de votec soit récupéré par des gens qui nous prennent pour des cons.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
T
Je ne sais pas si il y aura 70% d'abstentionnistes aux présidentielles, ce que je sais, c'est que refusant de choisir entre la peste et le choléra, je m'abstiendrai d'aller voter.
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P
les partis ouvriers ont abandonné la lutte de classe pour la lutte des places<br /> <br /> Si l'élection peut et doit être une tribune politique, cela n'autorise pas toutes les compromissions<br /> <br /> La classe ouvrière ne se trompe plus sur la forme de cette "démocratie" bourgeoise : elle s'abstient à plus de 70%<br /> <br /> Réaffirmer la dictature du prolétariat est une nécessité absolue
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T
C'est bien parce que ce lièvre est levé que le camarade Michel PEYRET m'a adressé cet article.
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T
Quoi? "la révolution par les urnes" C'est quoi ce truc? Une vue de l'esprit qui ne peut être qu'une idée de droite. Ou de la gauche pragmatique, c'est-à-dire la gauche traître à la cause des<br /> exploités.
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