SUR LA CHARTE D'AMIENS

Publié le par Tourtaux

 
                   Je suis toujours étonné des interprétations faites à propos de la Charte d’Amiens de 1906 et tout dernièrement sur un article de nos amis de « La Sociale ». Selon certains et Jean louis Ernis qui signe l’article en question, qui a le mérite de soulever le problème et qui permet de lever des tabous et des croyances fortement ancrées, La Charte d’Amiens , c’est la victoire de la ligne réformiste sur la ligne révolutionnaire. La réalité est tout autre puisque c'est rigoureusement l'inverse qui se produit.
                          La Charte Confédérale est la résolution adoptée à l’issue du Congrès de la CGT de 1906 à Amiens. Edouard Berth écrit entre autre , dans «  Les derniers aspects du Socialisme, page 12.
                             «  La Charte d’Amiens eut pour objet essentiel d’enrayer un mouvement de dégénérescence  réformiste, de rompre avec le millerandisme, de remettre le syndicalisme sur la voie révolutionnaire. Le socialisme politique était alors engagé dans des voies réformistes, démocratiques, politiciennes, dans le plus détestable sens du mot ; les syndicalistes révolutionnaires, en déclarant que le syndicat était l’organe essentiel de la lutte des classes, voulurent se dégager de toute compromission avec un Parti Socialiste qui n’était plus qu’une cohue démocratique et qui avait perdu tout sens révolutionnaire ».
                               Le débat au sein de la CGT et des groupes socialistes est bien antérieur. Il est déjà posé au Congrès de Lyon en 1901 de la CGT. Mais c’est au Congrès statutaire d’Amiens que la question fut posée avec toute l’ampleur de débat nécessaire . L’occasion en fut une proposition de la Fédération du textile, tendant à créer des délégations intermittentes ou permanentes entre le Comité Confédéral et le Parti Socialiste . Cette proposition n’obtint que 34 voix contre 774 et 37 bulletins blancs. Et le Congrès, par 830 mandats contre 8, vota la résolution dite de la Charte d’Amiens (article 2 constitutif de la CGT.) ainsi rédigé.
                               La CGT regroupe en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.
                               Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte des classes qui oppose sur le terrain économique les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière.
                             Le Congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique.
                           Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc…
                        Mais cette besogne  n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il précise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance , sera dans l’avenir le groupe de production et de répartition, base de la réorganisation sociale.
                       Le Congrès déclare que cette besogne quotidienne et d’avenir découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelque soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d'appartenir au groupement essentiel qu'est le syndicat .
                       Comme conséquence , en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire les opinions qu’il professe au dehors.
                        En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme  atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas , en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des Partis et des sectes qui , en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté la transformation sociale. Compère Morel .
                             Les Congrès socialistes aborderont la question des rapports Parti Syndicat, à plusieurs reprises. Le Congrès d’Amiens se tient bien avant la scission de Tours et de l’internationale. Le léninisme introduit un rapport nouveau, parfaitement différent des conditions dans lesquelles  se déroule le Congrès de la CGT. L’organisation politique qui existe lors du Congrès, c’est la SFIO.
                            L’internationale ouvrière social démocrate a une autre position. C’est la position que défend Jules Guesde, au nom de l’internationale. Position que ne partage pas Jean Jaurès. La ligne de l’internationale s’applique presque dans tous les pays , sauf en France et quelques autres et pas forcément pour les mêmes raisons. La social démocratie est liée au syndicat et elle parfois même subordonné à celui ci. Un raisonnement mécanique amène forcément à la simplification, Jaurès que l’on prétend réformiste, défend l’autonomie syndicale, donc l’autonomie est une position réformiste, d’autant plus que Guesde est prétendu révolutionnaire. Par opposition de l’un à l’autre, il est déduit que. Or c’est Guesde qui défend la ligne social démocrate, au nom de l’internationale et Guesde n’est pas Lénine. Les deux ont exprimé leurs positions respectives au sein de l’internationale ouvrière. Le débat se poursuivra des congrès suivants au sein de la SFIO.
                                Au Congrès de Nancy en 1907 de la SFIO, la motion de la fédération du Cher fut votée par 167 mandats contre 141 à la motion de la Dordogne. La motion majoritaire se situe dans la ligne du Congrès syndical d’Amiens.
                               Au Congrès international de Stuttgart du 16 au 24 08 1907, la résolution de la social démocratie fut votée par 222 voix ½ contre 18 voix ½. Les 18 voix ½ comprennent, la majorité française, 11 voix de la tendance Jaurès Vaillant, les syndicalistes italiens, 3voix et les 4voix ½ des Etats Unis.
                                En 1912 Compère Morel et Ghesquière ouvrent à nouveau le débat depuis la Chambre des Députés et a l’issue du Congrès la Commission des résolutions nomme une sous commission composée de Jaurès, Compère Morel et Briquet afin de tempérer les ardeurs syndicales.                                                                
« Ils appellent  l’attention des travailleurs sur les périls d’une propagande d’anti parlementarisme  et de violence systématique. » Voie qui tend à se développer dans l’action syndicale.
                                Il y a d’autres paradoxes, puisque la CGT siège au sein de l’internationale socialiste, elle est également présente en 1919 au Congrès de Berne, qui est la première tentative de reconstruction de l’internationale suite à la guerre de 14-18.  Même du côté de Jaurès, lorsqu’il en appelle à la grève générale en France et Allemagne contre la guerre qui menace, avec son caractère évident de grève politique. C’est alors vers l’internationale qu’il se tourne. Jaurès et la CGT sont alors trahis par l’aile droite de la social démocratie allemande qui vote les crédits à la guerre.
                                   Vient ensuite, la politique « bolchevik » qui ne fait qu’appliquer la conception social démocrate avec en plus une internationale syndicale et la subordination du syndicat au Parti et à son avant garde éclairée. Ce concept est nouveau et absent au moment du Congrès d'Amiens et est conçu dans le cadre de la construction de la Troisième internationale. Il n’y a pas automaticité, l’un réformiste parce que l’autre révolutionnaire.
                                 Dans les faits, la Charte d’Amiens n’a jamais été respectée. Elle trouve une justification partielle également, dans les luttes que se livrèrent et c’est une des raisons de la position de Jaurès, les différents groupes socialistes entre eux, au sein même de la CGT et de l’action interne menée par les groupes anarcho syndicalistes. Après 1905 cette lutte se poursuit entre les différentes tendances de la SFIO et la Charte d’Amiens tente d’y mettre fin. Le revers de la médaille, c’est que l’antiparlementarisme déjà puissant au sein de la CGT se développe, de même que l’action violente, ce qui fait réagir Compère Morel et Ghéquière à la tribune de l’Assemblée Nationale et lors du Congrès qui suit.
                                 Quelques soient les périodes jusqu’à nos jours , la Charte d’Amiens n’a jamais été respectée, ni par les uns se réclamant du réformisme ni par ceux , prétendus révolutionnaires, sans compter avec les pages sombres du stalinisme. Sauf, peut être en 1936, avec l’autonomie d’action et l’appel à la grève générale, vraisemblablement dans la ligne tracée par Marceau Pivert, de passer outre la politique de la SFIO et du PCF. C’est une hypothèse, pas une certitude.

 

Reçu de Michel PEYRET

Publié dans Lutte des classes

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T
<br /> Merci Pierre, je l'ignorais. J'ai reçu cet article de Michel et j'ai publié<br /> <br /> <br />
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P
<br /> C'est un très bon article dont la source est "socialistedegauche65".<br /> <br /> <br />
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T
<br /> J'avise Michel Peyret de ton commentaire camarade<br /> <br /> <br />
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C
<br /> LA CHARTE D’AMIENS EST MORTE...<br /> <br /> lundi 12 juin 2006<br /> <br /> La « charte d’Amiens » est le nom du texte adopté lors du congrès de la CGT en octobre 1906. C’est depuis et de façon invariable devenu le texte de référence des syndicalistes révolutionnaires.<br /> <br /> La charte d’Amiens est morte... très jeune. Elle n’avait qu’à peine 8 ans.<br /> <br /> Depuis, se revendiquer de la charte d’Amiens, c’est se revendiquer d’un mythe. Certains « anarchistes » et autres « syndicalistes révolutionnaires » essayent régulièrement de réanimer le cadavre ?<br /> Quel peut bien être leur intérêt dans cette entreprise ?<br /> <br /> Un texte de compromis historique ?<br /> <br /> Les syndicalistes révolutionnaires oublient souvent de rappeler que ce texte est avant tout un texte de compromis entre les tendances anarchistes et réformistes (parlementaristes) de la CGT. Si,<br /> pour faire plaisir aux premiers, la Charte établit le principe de grève générale expropriatrice il assure surtout une bienveillante neutralité du syndicat envers les partis politiques qui, pour<br /> reprendre les termes de la Charte « en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale ». Alors que la CGT « apolitique » ne se donnera jamais les moyens de donner<br /> vie au principe de grève générale, les partis politiques sauront utiliser toute leur « liberté » ainsi garantie pour renforcer leur pouvoir sur le dos des travailleurs.<br /> <br /> La neutralité politique à vécu ...<br /> <br /> Dès 1922, à la re-création de l’AIT, l’apolitisme de la Charte d’Amiens était dénoncé pour ce qu’il était : une trahison contre la classe ouvrière, qui, sous couvert de « neutralité » consistait en<br /> fait à subordonner les travailleurs aux intérêts des partis politiques, dont il était évident après les épisodes de l’Union sacrée en 14, de la contre révolution en Allemagne et de la contre<br /> révolution bolchevique qu’ils étaient en opposition totale.<br /> <br /> Nous ressortir la Charte d’Amiens aujourd’hui n’est pas anodin. Alors que tout le monde constate la perte de la mémoire militante et le règne de la confusion spectaculaire, on réexhume<br /> opportunément la vieille momie syndicaliste révolutionnaire, comptant ainsi nous refourguer sous les bandelettes quelques cadavres politiques décomposés depuis la chute du mur de Berlin. Cette<br /> régression permet en effet de trouver « normal » et « naturel » la collaboration avec des organisations politiques, voire d’ouvrir l’organisation « syndicaliste révolutionnaire » aux militants des<br /> partis et organisations politiques. Cela permet de créer des proximités (qui a dit des connivences ?) dans l’objectif d’une hypothétique refondation syndicale avec d’autres forces d’extrême gauche<br /> voire de gauche ... (cf. l’article sur le réveil des chats noirs de Politis http://www.politis.fr/article1293.html)<br /> <br /> Syndicats vs classe<br /> <br /> Aujourd’hui, il est temps d’en finir définitivement avec ces conceptions héritées d’un passé mythique. La Chartes d’Amiens clamait, et la Charte de Paris de la CNT avec elle - que « le syndicat,<br /> aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de la réorganisation sociale ». Ce projet, rien moins que totalitaire - du Grand<br /> Syndicat s’apparente à celui du Parti unique ... Il s’agit d’une énième avant garde, dont on sait comment cela finit ...<br /> <br /> Aujourd’hui, 100 ans après, la CGT et ses avatars sont devenus les partenaires obligés de l’Etat pour construire le spectacle de la contestation inutile. Quand au "mouvement anarchiste" il est<br /> partagé entre ceux qui vendent de l’anarchisme mais qui proclament ne pas être anarchistes et ceux qui défendent encore un projet de société.<br /> <br /> Ce projet de société c’est le communisme anarchiste. Ce projet, qui rejoint l’anarchisme ouvrier globaliste de la FORA, appelle à un dépassement du syndicalisme. En effet, le syndicalisme étant un<br /> mode d’organisation dont la forme est structurée par le capitalisme (comme une empreinte en creux), il ne peut abolir le capitalisme sous peine de s’abolir lui-même. Donc s’il venait à gérer la<br /> société future, il reproduirait fatalement le capitalisme, les structures ayant toujours tendance à privilégier leur propre survie. (cf. à ce propos les textes sur la résistance au travail en<br /> Espagne révolutionnaire parus sur le site http://mondialisme.org)<br /> <br /> Cette réflexion, mêlée et enrichie avec d’autres apports convergents (communisme de conseil, situationnisme, etc ...) amène aujourd’hui des syndicats CNT AIT à développer le concept d’autonomie<br /> populaire.<br /> <br /> On est donc ici bien loin de la Charte d’Amiens ou de Paris et des statuts actuels de la CNT. Certes, on peut décréter le texte obsolète et donc aboli. Mais est ce bien important ? Ce qui compte,<br /> c’est le processus d’élaboration d’un nouveau référentiel anarchosyndicaliste idéologique et pratique, adapté à la réalité sociale actuelle. Ce processus doit être ouvert tout en étant cohérent,<br /> pour être opérationnel. Il doit se nourrir des réflexions et des expériences pratiques de tous ceux qui souhaitent y participer (la participation n’étant pas fondée sur un label ou l’appartenance -<br /> ou non - à une organisation - mais sur une volonté constructive et un minimum de clarté tant sur les objectifs que sur les moyens et sur leur articulation).<br /> <br /> Tiré du bulletin Espoir numéro 4<br /> <br /> <br />
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