TOULOUSE : IL Y A 10 ANS, A 10H37, L'USINE AZF EXPLOSAIT - 31 PERSONNES TUEES, PRES DE 2 500 BLESSES. LA PLUS GRANDE CATASTROPHE INDUSTRIELLE EN FRANCE DEPUIS 1945
La Ville de Toulouse orchestre une cérémonie censée rassembler les associations de victimes, toujours divisées
Dix ans après la catastrophe d'AZF, qui a fait 31 morts et près de 2 500 blessés, le sujet reste sensible. Le traitement juridique de l'affaire suscite la controverse. La mémoire de l'événement aussi. Au-delà du deuil et des cicatrices du tissu urbain, la catastrophe a laissé de l'aigreur et un sentiment d'injustice.
En novembre 2009, le tribunal correctionnel de Toulouse prononçait la relaxe de l'ancien directeur de l'usine, Serge Biechlin, et de Grande Paroisse, la filiale de Total, propriétaire du site. L'entreprise pétrolière et son ancien PDG Thierry Desmaret, également mis hors de cause, ont versé 2 milliards d'euros d'indemnités. Le procès en appel, qui s'ouvrira le 3 novembre, pourrait durer quatre mois.
« La justice trouvera encore une échappatoire », prédit Gérard Ratier, pessimiste. Le président de l'Association de familles endeuillées a récemment demandé l'ouverture d'une procédure pour « délit d'entrave au cours de la justice », estimant que l'enquête interne, effectuée par Total après la catastrophe, avait effacé les preuves de la cause chimique de l'explosion. Mais la chambre d'instruction de la cour d'appel de Toulouse a rendu un non-lieu.
Gérard Ratier, qui a perdu son fils dans l'explosion, a sorti un livre très documenté, juste après le procès. Il y dénonce « la toute-puissance de la défense de Total » et l'incompatibilité des produits chimiques qui étaient présents sur le site.
La Ville s'était portée partie civile dans le procès. Aujourd'hui, elle recherche avant tout la réconciliation entre les associations de victimes. « Le plus terrible, c'est le combat entre les associations de victimes "civiles" » et celles de salariés. Elles avaient une histoire commune. Aujourd'hui, elles continuent à porter la charge psychologique du traumatisme », soupire Nicolas Tissot, adjoint au maire de Toulouse, responsable du quartier rive gauche.
Intérêts divergents
Un autre clivage s'est révélé entre les quartiers très proches d'AZF, où la population s'est mobilisée contre les usines chimiques, et les quartiers d'habitations sinistrés d'Empalot et du Mirail, soucieux avant tout de l'accompagnement et de l'indemnisation des victimes. « Nous avons eu le sentiment d'être abandonnés par les sinistrés de l'extérieur et les responsables politiques », explique Jacques Mignard, président d'AZF Mémoire et solidarité, ancien salarié de l'usine. « Tous ont dit qu'il fallait arrêter l'usine. Certains collectifs ont parlé d'"usine de la mort". Mais on n'a rien fait pour reclasser les salariés. » Focalisées sur des intérêts divergents, les associations n'ont jamais réussi à se mettre au diapason.
Après la catastrophe, trois lieux de mémoire ont vu le jour : le rond-point du 21-Septembre, le rond-point des Sinistrés, et une statue dans le jardin de Compans, chacun accueillant sa propre cérémonie de commémoration. Sans compter les nombreuses stèles érigées et le projet de musée de la chimie porté par les salariés.
À l'occasion du dixième anniversaire de la catastrophe, la Ville organise aujourd'hui, pour la première fois, une cérémonie en hommage à l'ensemble des victimes. À 10 h 17, heure de la déflagration, toutes les sirènes de Toulouse retentiront. Suivra une minute de silence sur le site de l'ancienne usine AZF.
« On a proposé un lieu commun pour réconcilier tout le monde », explique Nicolas Tissot. Il a fallu deux ans d'arbitrage pour définir le projet avec les associations. Finalement, les œuvres de trois artistes occuperont les 2 hectares dévolus à la mémoire collective. Cela ne devrait pas empêcher certains de conserver leur cérémonie à 10 h 16 ou à 10 h 18…
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