GUERRE D'ALGERIE - SOUVENIRS D'UN APPELE ANTICOLONIALISTE
GUERRE D'ALGERIE
SOUVENIRS D'UN APPELE ANTICOLONIALISTE
Avant-Propos d'Henri ALLEG
L'auteur de La Question
Avant-Propos
C‘est
en février 1961 que Jacques Tourtaux, comme des dizaines de milliers de jeunes Français avant lui , avec les mêmes réticences à participer à cette guerre « imbécile et sans issue »,
arrive en Algérie. Mais, entre lui et la majorité de ces bidasses mobilisés à qui pourtant il ressemble, une différence qui a son importance : il est communiste et il sait parfaitement
pourquoi il refuse cette guerre et où sont la vérité et le droit. Non pas, comme le prétend la propagande officielle, du côté des gros colons exploiteurs, des gouvernants et de l’armée coloniale
qui les servent et continuent de prétendre que l’ « Algérie c’est la France » mais du côté des Algériens qui luttent pour l’indépendance de leur pays et des Français qui les
soutiennent.
Pas un moment donc, Jacques Tourtaux ne cédera, malgré tous les tentatives de « bourrage de crâne », malgré les pressions et chantages de toutes sortes, malgré les mises à l’écart, les
brimades ouvertes ou camouflées des gradés, souvent « anciens d’Indochine », avides de prendre leur revanche sur un adversaire – pour eux, le même qu’au Vietnam - qui les avait
victorieusement affrontés « là-bas », . Bien plus, dans ces dures conditions où il est noté comme une « forte tête » et en dépit du danger, il s’efforcera avec les pauvres
moyens à sa disposition (parfois à l’aide de « papillons » fabriqués artisanalement) de faire entendre la voix des partisans de la paix, de la liberté, de
l’entente fraternelle avec le peuple algérien.
Mais il y a aussi d’autres souffrances durement ressenties, celles particulièrement odieuses qu’impose la guerre coloniale aux hommes et aux femmes révoltés contre l’exploitation, l’injustice et le mépris dont Jacques Tourtaux est le témoin et qu’il ne pourra jamais oublier. Les ratissages sanglants de douars, les gourbis incendiés, les exécutions sommaires de combattants et de civils, les tortures et les viols. Tout cela est encore présent dans sa mémoire et toujours aussi durement ressenti. Il le dit avec force et émotion :
« Depuis mon retour d’Algérie, j’ai toujours souffert, sans savoir que je souffrais de là-bas. Plus de 40 ans après, je me réveille régulièrement en sursaut . Difficile de remonter la pente : sautes d’humeur, phobies, rendent souvent la vie difficilement supportable à mon entourage ; Depuis de nombreuses années, mon sommeil est agité, troublé par des insomnies, cauchemars et anxiétés. Les troubles graves endurés encore aujourd’hui sont la conséquence directe des mauvais traitements subis et qui m’ont été infligés volontairement du fait de l’institution militaire lors de la guerre d’Algérie. Les vives et graves souffrances que j’ai subies à l’époque ont laissé des traces indélébiles et des blessures qui m’ont affecté toute ma vie et, encore aujourd’hui, je subis un très important sentiment de culpabilité du fait d’avoir vu des horreurs que je réprouvais…. ».
Avec beaucoup de modestie, Jacques Tourtaux présente son livre comme un témoignage. Mais, c’est beaucoup plus que cela. Dans sa volontaire simplicité et sa totale vérité, c’est aussi un vibrant hommage à ces soldats anticolonialistes qui, après avoir milité clandestinement dans leur unité contre la guerre et pour faire prendre conscience à ceux qui les entouraient de son contenu pervers et criminel, n’ont pas hésité, le moment venu, à se dresser, souvent au péril de leur vie, pour barrer la route aux généraux factieux prêts à donner l’assaut à la République. Avec juste raison, il pose cette question que les dirigeants en place ont le plus souvent volontairement oubliée : Que serait-il advenu si, en avril 1961, le contingent mobilisé en Algérie, avait suivi les officiers félons et leurs chefs ?
Une question qui mérite toujours réflexion, ne serait-ce que pour aider les générations d’aujourd’hui à tirer les leçons de l’histoire et à rester vigilantes
car les forces mauvaises du passé n’ont pas renoncé.
Henri ALLEG
Opposant à la guerre coloniale menée en Algérie, catalogué "forte tête", je suis envoyé en Afrique du Nord. Je dénonce l'existence de sections discilpinaires et de bagnes
militaires tels que Oued-Smar où les gus incarcérés étaient quotidiennement passés à tabac et subissaient des sévices graves, entraînant parfois l'hospitalisation.
Ce livre témoignage rend hommage à la poignée de soldats anticolonialistes qui se sont battus clandestinement contre cette guerre, en vue d'aider à la prise de conscience
des autres soldats moins politisés.
Que serait-il advenu si en avril 1961, les généraux félons n'avaient pas été mis en échec?
Sincère et incontestable, ce livre "explosif" dérangera sans doute, plus de quarante ans après la fin de cette guerre "iimbécile et sans issue".
Soldats anticolonialistes de la guerre d'Algérie, si vous vous reconnaissez dans ce modeste écrit, sortez de votre silence, de votre anonymat.
Dénoncez les violences, les sévices, que vous avez subis, infligés par des gradés de l'armée française.
Je m'insurge contre le refus des autorités civiles et militaires quant à la reconnaissance des traumatismes subis. Je villipende le vote scandaleux de la loi scélérate du 23/02/2005 qui
réhabilite les assassins de l'OAS et encourage les nostalgiques des guerres coloniales.
Jacques Tourtaux
INCOPORE DIRECT EN ALGERIE
Après un voyage gratuit Rethel-Marseille, payé par les vaches à lait que sont les contribuables, vlà-t'y pas que le grand Charles a décidé de me faire visiter Marseille, sa Canebière,
son vieux port, son "célèbre camp Sainte Marthe, sans oublier les incontournables prostituées de la rue Tubaneau, chaque soir grouillante de bidasses.
OUED-SMAR LES CLASSES
J'ai donc fait mes classes au Centre d'Instruction (C.I.) de Oued-Smar. Il s'agissait d'une compagnie disciplinaire qui était commandée par un lieutenant. A l'époque,
Oued-Smar avait une triste réputation dûe à la présence sur son territoire d'une prison interarmes, plus exactement un bagne, dirigée par un adjudant-chef de l'armée de l'air, nommé Birr,
surnommé par les soldats de la base , le S.S.
La prison, surnommée "La Villa" s'apparentait à un bagne. Certains détenus étaient si sérieusement blessés qu'ils devaient consulter à l'infirmerie.
Comment un peuple comme le nôtre, qui a tant souffert de la barbarie nazie peut-il avoir des fils qui revendiquent cette violence fasciste?
22 AU 26 AVRIL 1961 PUTSCH ET ECHEC DES GENERAUX FACTIEUX EN ALGERIE
Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961 à Alger, des éléments militaires de l'armée française sont entrés en dissidence et ont pris le pouvoir. Cette rébellion était dirigée par un quarteron de
généraux à la retraite soutenus par les colonels activistes. Ces factieux tournèrent leurs armes contre la République qu'ils avaient pour mission de défendre. Ces mercenaires comptaient dans
leurs rangs une majorité d'anciens SS et immigrés fascistes hongrois. Et ce n'est pas dans les états-majors militaires que la République trouva ses plus ardents défenseurs, mais chez les
bidasses qui, dans leur majorité refusèrent spontanément de suivre les comploteurs étoilés et galonnés. Les appelés, arrivant dans un monde inconnu et isolé dans des villages perdus
ont découvert le caractère horrible de la guerre.
Aux premières loges du drame qui se jouait dans les djebels, les fils de ceux et celles qui manifestaient et pétitionnaient pour la paix en Algérie ne pouvaient avoir de réactions bien
différentes de leurs parents qui en métropole scandaient " le fascisme ne passera pas". Les putschistes découvrirent que les appelés refusaient de les suivre, qu'ils étaient prêts à utiliser
leurs armes pour les combattre. Ils furent épaulés par certains cadres de l'armée, ils se mirent en grève, malgré l'instauration de la loi martiale et opposèrent une force d'inertie
totale, aux ordres reçus, (refus d'aller en opérations, sabotages des messages). Enfin, malgré les interdictions, les surveillances et les censures, des jeunes plus conscients et plus politisés
que d'autres firent avancer leurs idées et réfléchir autour d'eux. Ce fut la tâche de jeunes militants communistes, syndicalistes ou chrétiens progressistes. Leur lutte ardue et dangereuse est
presque systématiquement passée sous silence par la plupart des auteurs. Après leur cuisante défaite, certains généraux insurgés s'enfuirent et devinrent les chefs de l'OAS, organisation
terroriste qui n'hésita pas à tuer des jeunes du contingent. Ces tueurs bénéficiaient des hautes protections civiles et militaires.
Je n'avais pas 20 ans lorsque j'ai été incorporé direct en Algérie où j'ai effectué mes classes à Oued-Smar, annexe de la BA 149, à Maison-Blanche, près d'Alger.
Les classes se terminaient lorsque nous avons eu droit aux réjouissances. Le grand cirque avec clowns travaillant sans filet. De tous petits, petits, petits généraux hypers galonnés ont voulu
faire la "révolution". A l'aide de leur fer de lance, le 1er REP (Régiment Etranger de Parachutistes de la légion étrangère), nos chefs "bien aimés" ont ourdi un complot contre la
République en vue de garder l'Algérie française.
Les "grands stratèges" de l'armée française ont décidé de se retourner contre leur copain de Gaulle qu'ils ont pourtant porté au pouvoir en 1958. Nos grandissimes généraux sont à l'initiative,
à la besogne. Ils omettent juste un "détail" : les gus du contingent. Patatras! Voilà que les petits soldats de l'an II, issus de l'armée de conscription, refusent d'obéir aux
ordres de généraux renégats.
Les "monsieur Loyal" que furent les généraux Salan, Jouhaud, Challe et Zeller ont trahi la République qu'ils avaient pour mission de défendre. Seul le Peuple de gueux dont je suis peut
prétendre revendiquer l'honneur de faire la Révolution. Ce mot sonne mal dans la gueule de ces généraux félons, officiers supérieurs et grands serviteurs des basses oeuvres d'un colonialisme
agonisant.
Je veux rappeler ce qui s'est passé l'après-midi du 26 avril 1961 et que je relate aussi dans mon second livre.
Lorsqu'en compagnie d'une petite quinzaîne d'appelés, je suis muté dans la Mitidja et alors que nous sommes acheminés en camion GMC vers notre destination, nous stoppons pour laisser
passer une importante colonne de véhicules militaires. Celle-ci est précédée d'une voiture civile noire transportant des officiers dont le commandant Helie Denoix de Saint Marc qui est à la
tête des mercenaires du 1er REP, l'unité qui a servi de fer de lance aux généraux putschistes. Ces troupes d'élites sont en fuite! Les "bérêts verts" chantent : " non rien de rien, non, je ne
regrette rien..." Edith Piaf s'en retourne dans sa tombe!
Au passage du dernier véhicule, nous essuyons des rafales de pistolets-mitrailleurs MAT49. Les trois ou quatre pieds-noirs de notre détachement n'en reviennent pas. Se faire
allumer par les "copains", c'est-y pas un comble!
Lors d'un salon du livre, un jeune homme m'a acheté mon livre anticolonialiste que j'ai écrit sur la Guerre d'Algérie, à titre posthume pour mon oncle, m'a-t-il dit. En effet, le
26 avril 1961, l'oncle était dans le secteur de Blida et l'unité à laquelle il appartenait a été agressée par les mercenaires du 1er REP qui étaient en fuite et ont délibérément tiré à
l'arme automatique sur les bidasses. J'ai tout de suite pensé que ce soldat était dans notre camion. En fait, il était affecté dans une unité d'infanterie, il n'était donc
pas dans notre GMC.
J'avais déjà eu un témoignage d'un appelé, semblable au nôtre qui s'était également fait "rafaler"dans le même secteur. Il est donc clair que les parachutistes du 1er REP n'ont
pas hésité à ouvrir le feu sur toute unité de soldats du contingent se trouvant malencontreusement sur leur chemin. L'oncle du jeune homme a été très affecté par cette lâche agression de
militaires de l'armée française contre d'autres soldats français.
Le PCF a condamné l'attitude irréparable du président Mitterrand qui a réhabilité et réparé financièrement ces généraux qui se sont dressés contre la République. Alors que des démocrates,
communistes et autres, qui ont été au premier rang des luttes contre le colonialisme et pour la défense de la France ne sont toujours pas reconnus.
Aujourd'hui, 47 ans après la lutte exemplaire de tous ceux qui ont agi pour barrer la route au fascisme, qu'ils soient civils ou militaires, la France est engagée sur divers territoires
africains mais aussi dans le bourbier qu'est l'Afghanistan où, d'importants renforts militaires vont êtres envoyés dans un secteur où la guerre est très présente. Ces
soldats vont s'ajouter aux 1500 militaires déjà en place.
L'exemple de l'Algérie montre bien tout l'intérêt pour les peuples de tout faire pour préserver la paix. Les 30.000 soldats dont une écrasante majorité d'appelés du contingent et les centaines
de milliers d'Algériens tués sont là pour nous le rappeler.
Le 6 mai dernier, 53% d'électeurs ont élu à la présidence de la République Nicolas Sarkozy. Depuis ce jour maléfique, notre peuple ne cesse de souffrir, de s'enfoncer dans la misère. Depuis ce
coup de tonnerre, tout ce que compte notre pays de réactionnaire, de fascisant relève crânement la tête. Les nostalgiques des guerres coloniales, les anciens tueurs de l'OAS, encouragés par les
propos et le soutien inconditionnel que leur apporte Nicolas Sarkozy ont paradé sous l'Arc de Triomphe en toute impunité.
En faisant allégeance à la désastreuse et ruineuse politique guerrière, de croisade et néo coloniale de Georges Bush, Nicolas Sarkozy fera intervenir l'armée française partout
dans le monde où l'intérêt des Etats-Unis l'exigera. Les endroits "chauds" où les soldats français interviendront se solderont par de nouveaux et sanglants massacres. Il est donc plus
que temps, dans l'intérêt de tous les peuples, y compris du peuple français de rompre avec cette politique, héritage de la honteuse époque coloniale.
Jacques Tourtaux
MOUZAIAVILLE
Mouzaïaville, juin 1961.
Mon départ en garde ferme est imminent.
REBELLIONS
A Mouzaïaville, j'avais rencontré deux autres appelés communistes avec qui j'écrivais des petits papillons "Paix en Algérie" que l'on placardait et distribuait sur les lits, dans les
fillods, en se planquant. Nous suivions les consignes du PCF : militer au sein de son unité afin d'aider à la prise de conscience des appelés, peu politisés.
TELERGMA
Dépôt de napalm, une arme terrifiante.
Soute à munitions de la BAO211 à Telergma, Constantinois.
Photo prise le 20 décembre 1961.
Suite à dénonciation pour les tracts contre la guerre que je faisais avec deux camarades, j'ai été muté à la Base Aérienne Opérationnelle (BAO 211) de Telergma, dans le Constantinois. J'ai été affecté à la soute à munitions.
BAO211, soute à munitions.
Panoplie tueuse.
LES PATROUILLES ASSASSINES
A quatre reprises, avec d'autres soldats opposants comme moi à la guerre, j'ai sciemment été envoyé en patrouilles, sans munitions pour nos MAT 49. A chaque fois, nous avons protesté, l'ordre a dû être exécuté.
AVOIR 20 ET 21 ANS EN GUERRE D'ALGERIE
Lorsque je suis parti en Algérie, j'étais anticolonialiste. Plus de quarante années se sont écoulées, plus anticolonialiste que jamais, l'armée qui n'est pas parvenue à me briser a fait de moi un antimilitariste.
La Quille !
"GUERRE A LA GUERRE !"
VICTIMES DE GUERRE "IGNOREES"
Beaucoup d'entre nous sont rentrés d'Algérie traumatisés. Pour les traumatismes de guerre, l'administration et les juridictions rejettent les demandes de pensions, notamment en
invoquant que les recherches menées au service historique des armées n'ont pas permis de trouver trace de situations particulières dans lesquelles nous aurions été impliqués. Or, les hommes de
troupe n'apparaissent jamais dans les journaux de marche et opérations sauf si décorés, blessés ou tués. Les hommes de troupe restent des anonymes. En clair, depuis des decennies, les hommes de
troupe ne peuvent prétendre obtenir gain de cause pour leur demandes légitimes de pensions. Le ministère des A.C.V.G. et sa très zélée administration ne peuvent l'ignorer.
CAS DE CONSCIENCE
Je ne voulais pas aller en Algérie pour faire la guerre au peuple Algérien. Ma lettre de refus pour de Gaulle était prête, je n'avais plus qu'à la dater et signer. J'en ai fait part à mon
oncle Hilaire, militant communiste exemplaire. Je lui ai écrit et expliqué mes deux refus de conseil de révision. Mon oncle m'a conseillé de partir en Algérie. Selon lui, les actions
individuelles ne payaient pas. Pour ce genre d'action, les sanctions étaient trop fortes. Il pensait qu'il fallait entraîner le plus de jeunes possibles dans l'action contre la guerre coloniale
menée en Algérie. Il disait qu'il fallait militer contre la guerre à l'intérieur de son unité, afin d'aider à une prise de conscience des jeunes appelés qui pour la plupart n'étaient pas
politisés comme l'étaient les soldats communistes.
J'ai suivi le conseil de mon oncle, ne pas écrire à de Gaulle et attendre ma feuille d'incorporation.
J'ai embarqué sur le bateau "Ville de Marseille" pour une traversée à fond de cales de deux jours, balloté au gré du roulis et des tanguages, devant supporter l'odeur pestilentielle des
vomissures.
Habitué à tutoyer le danger, ce n'est qu'avec le recul des ans, mais aussi et surtout grâce aux conseils de camarades que j'ai pleinement réalisé et compris que l'autorité militaire ne m'avais
pas fait de cadeaux.
Le 19 mars 1992, j'ai intenté un procès à l'Etat Français dans le cadre d'une demande de pension d'invalidité de guerre rejetée par son administration.
L'Etat et sa très zélée administration ont fait appel contre une importante décision de justice rendue en ma faveur. Les malversations me concernant ont été si nombreuses...
Par leur refus de reconnaître les traumatismes subis pendant la Guerre d'Algérie, les autorités françaises me font payer une seconde fois mon opposition résolue à la Guerre d'Algérie.
Des milliers d'anciens appelés, ayant de modestes revenus ne peuvent plus se soigner et se loger. La liste ses médicaments déremboursés ne cesse de s'allonger. Les mutuelles deviennent
inaccessibles Le rejet par l'administration de mon Droit Légitime à pension prive des milliers de justiciables, Victimes de Guerre d'une jurisprudence favorable.
LETTRE DE
MON CAMARADE PIERRE LERAY
AVEC SON ACCORD, JE TIENS A PORTER A LA CONNAISSANCE DE TOUS LA TRES BELLE LETTRE QUE M'A ADRESSE MON CAMARADE PIERRE LERAY APRES AVOIR LU MON LIVRE CONTRE LA GUERRE COLONIALE
MENEE PAR LA FRANCE EN ALGERIE.
CET ANCIEN PRETRE, AUJOURD'HUI MILITANT COMMUNISTE, ECRIT UN EMOUVANT PLAIDOYER CONTRE LA GUERRE. IL REND UN VIBRANT HOMMAGE AUX SOLDATS ANTICOLONIALISTES
ET PACIFISTES.
MERCI PIERRE, MERCI MON CAMARADE, MERCI MON FRERE !
Le 13 décembre 2008
Cher camarade Jacques,
C'est peu de dire que ton livre m'a intérressé, je l'ai dévoré d'une traite. Tu racontes les choses tellement simplement, avec l'argot qur nous parlions au quotidien, que très vite je me suis
retrouvé là-bas.
... A la fin, j'ai même ressorti mes vieilles photos que je n'avais plus touchées depuis longtemps. Moi non plus je n'étais pas grand : 1m59 !
C'est
terrible ce que des groupes humains, bien encadrés, déterminés peuvent entraîner. N'importe quel homme ordinaire, s'il n'a pas été averti, peut se trouver accomplir des méfaits dont il ne se
serait jamais cru capable. J'ai vu un brave gars, qui n'aurais pas fait de mal à une mouche, revenir tout fier à la base en brandissant sur le capot du half-tack la jambe d'un fell qui avait
sauté sur une mine ... Combien de bidasses sont revenus d'AFN vidés, traumatisés au point de ne plus croire en eux-mêmes.
C'est le pire, à mon avis, qui puisse arriver à quelqu'un :
il paraît vivant, il travaille, il parle, mais il est vide, éteint - et il ne le sait même pas - , il agit par intuition, sans possibilité de réflexion. C'est ainsi, je crois, que notre
génération a glissé au fil des années jusqu'à l'impasse où se trouve aujourd'hui toute notre société.
Sais-tu que nous aurions pu nous rencontrer en AFN sous l'uniforme ? à ceci près que j'étais à l'autre bout du pays, à la frontière marocaine. J'ai débarqué au fond du bled, la veille de Noël 60,
dans les montagnes de Tlemcen, à 1400 mètres d'altitude, entre des villages détruits et un camp de regroupement : Sidi Larbi... J'y suis resté jusqu'en octobre 1961. C'est que j'avais eu la
chance de faire 18 mois en France, à Blois, au 5ème RI, un vieux régiment à l'histoire glorieuse ( ! )
Après mes classes à la section EOR, j'ai refusé d'aller à Cherchell, à l'école d'officiers, si bien qu'ils m'ont gardé comme instructeur de jeunes recrues, jusqu'aux galons de serpate. Je crois
que ma situation de séminariste jouait à mon avantage, l'armée en métropole suivait De Gaulle et croyait plus ou moins à la pacification ; avoir un humaniste dans ses rangs, ça pouvait faire bien
...
Au séminaire, avec les témoignages des anciens qui étaient revenus de là-bas, nous avions connaissance des exactions, des tortures, du rascisme ... mais nous n'avions qu'une opposition morale et
non politique à cette guerre. En conséquence, j'ai revêtu l'uniforme avec un bel idéal personnel de justice et de paix, c'est-à-dire plein de naïveté et d'ambiguité : j'étais contre la guerre
mais au point d'être objecteur de conscience ; je ne voulais pas être officier mais j'acceptais d'être sergent ! ... J'avais même résolu de ne tuer personne et au besoin d'enlever la culasse de
mon fusil pour ne pas avoir à tirer par réflexe pour me défendre , - tu reconnais le précepte chrétien du " salut individuel " ! ...
Mais en fait quand je me suis retrouvé en bouclage à la frontière, face à l'ennemi, je veillais à ce que toutes mes armes soient en bon état de marche ...
Tu penses bien qu'il m'est facile d'imaginer ce qui t'animais quand tu as été envoyé en patrouille sans munitions - et quatre fois ! Oui, toi, tu en as vraiment chié ! C'est miraculeux qu'un si
petit bonhomme ait pu résister à tant d'épreuves ! - Mais c'est aussi une victoire magnifique d'un coeur humain contre la bêtise et la haine ... Je te félicite d'avoir pu écrire ce
livre, parce que non seulement il rapporte des faits réels et méconnus, mais il fait la démonstration que la force de conviction, si elle est humainement juste, est capable de vaincre toute
souffrance et la mort. C'est un beau témoignage dont les français, jeunes et vieux, ont besoin pour sortir de l'abattement et la torpeur qui les accablent aujourd'hui. Il n'y a pas de sauveur
suprême, il faut payer de sa personne si l'on veut que la vie soit belle.
Moi aussi, je suis revenu moralement blessé, humilié d'avoir participé à cette sale guerre. Moins tout de même que mon camarade de séminaire que j'ai vu au retour péter les plombs en
plein cours de théologie : il délirait, incapable de se remettre d'avoir tué par erreur son meilleur ami au cours d'une embuscade ...
Pour l'anecdote, je peux ajouter que du fond de notre trou, c'est par les transistors que nous avons suivi le putsch d'avril, - tous solidaires des gars du contingent qui s'opposaient aux
factieux. Mais le mardi 25 nous avons vécu une " diversion " de taille. Tout près de notre poste, une section fell a été accrochée ...
Jusqu'à présent toutes les entreprises de franchissement de la frontière avaient échoué, se brisant contre la haie électrifiée à 5000 vols et les barbelés jonchés de mines. Les nôtres disaient
que c'était une barrière infranchissable. Les tentatives avaient toujours lieu au clair de lune, avec un ciel clair. Si bien que lorsque je me retrouve dans la nature au clair de lune, avec
cette lumière froide et blafarde si caractéristique, je suis renvoyé immédiatement là-bas, quand nous étions en embuscade à guetter ...
Depuis quelques mois, circulait la rumeur que les fells étaient entraînés par un certain Tintano. Il y avait en effet des camps d'entraînement du côté d'Oujda, la ville marocaine située au
pied de notre montagne que nos artilleurs, quand ils s'énervaient, bombardaient à coups d'obus de 105. Or, disait-on, Tintano avait promis que le jour où il s'y mettrait lui-même, ça
passerait et ça ferait mal ...
Cette nuit-là, c'était peut-être ça. En tout cas, j'ai entendu des bruits furtifs dans la broussaille en contre-bas ...
C'est au petit matin qu'ils ont été répérés - derrière notre ligne de bouclage. Je crois bien que quelques gradés ont voulu profiter de l'occasion pour sortir de l'embarras du choix politique à
poser en faisant du zêle au feu. Les fells s'étaient solidement retranchés sur un piton, et l'attaque pour les débusquer a été menée dans la confusion, sans concertation suffisante, malgré les
roquettes des T6. Résultats : des morts et des blessés, autant d'un côté que de l'autre, y compris un lieutenant. J'ai vu les hélicos emporter les corps, et aussi des algériens de mon âge
embarqués vers l'arrière. A la nuit tombée, ça tirait toujours. La rumeur disait après coup que Tintano avait réussi à s'enfuir à la faveur de la nuit.
Mon cher Jacques, me voilà à t'écrire ce que je n'ai jamais écrit à personne, - je l'ai juste raconté par bribes à mes proches. C'est drôle, mais c'est comme si je te racontais la vie d'un autre,
tellement ça me paraît loin. Heureusement, je n'ai jamais eu à tirer sur un autre homme, mais je dois bien reconnaître que c'est dû aux circonstances et non à mon courage, - et donc avouer que
j'aurais pu le faire !
Tu
notes juste le " sentiment de culpabilité " sans développer. Mais je comprends quel travail tu as dû faire sur toi-même pour te récupérer. Tu es même devenu un témoin émouvant, un
combattant infatigable contre la guerre, un exemple d'humanité. Chapeau !
Parce que les sadiques ont fait fort pour t'abattre, jusqu'à te condamner toi le pacifiste, à faire le travail de pourvoyeur d'armes en tous genres. C'est pour moi le comble du sadisme, qui
rappelle la méthode des nazis à la Shoah, lorsqu'ils choisissaient des juifs pour être les exterminateurs de leurs frères ...
Mais leur acharnement n'a réussi qu'à te fortifier, à transformer ton supplice en victoire, ta faiblesse en force inébranlable, - et à faire de ta vie un formidable encouragement pour tous ceux
qui combattent pour un monde meilleur.
Merci pour tout, mon frère, je suis content de te connaître. Je suis sûr que quelque part dans le ciel le petit Tourtaux est inscrit dans le livre des Justes.
Longue vie à toi !
Pierre Leray
Pour toute commande :
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