MERCI PIERRE MERCI MON CAMARADE MERCI MON FRERE DE COMBAT !
JE TIENS A PORTER A LA CONNAISSANCE DE TOUS LA TRES BELLE LETTRE QUE VIENT DE M'ADRESSER MON CAMARADE PIERRE LERAY SUITE A SA LECTURE DE MON LIVRE CONTRE LA GUERRE COLONIALE MENEE PAR LA FRANCE EN ALGERIE.
CET ANCIEN PRETRE, AUJOURD'HUI MILITANT COMMUNISTE, FAIT UN EMOUVANT PLAIDOYER CONTRE LA GUERRE. IL REND UN VIBRANT HOMMAGE AUX SOLDATS ANTICOLONIALISTES ET PACIFISTES.
MERCI PIERRE, MERCI MON CAMARADE, MERCI MON FRERE !
Le 13 décembre 2008
Cher camarade Jacques,
C'est peu de dire que ton livre m'a intérressé, je l'ai dévoré d'une traite. Tu racontes les choses tellement simplement, avec l'argot qur nous parlions au quotidien, que très vite je me suis retrouvé là-bas.
... A la fin, j'ai même ressorti mes vieilles photos que je n'avais plus touchées depuis longtemps. Moi non plus je n'étais pas grand : 1m59 !
C'est terrible ce que des groupes humains, bien encadrés, déterminés peuvent entraîner. N'importe quel homme ordinaire, s'il n'a pas été averti, peut se trouver accomplir des méfaits dont il ne se serait jamais cru capable. J'ai vu un brave gars, qui n'aurais pas fait de mal à une mouche, revenir tout fier à la base en brandissant sur le capot du half-tack la jambe d'un fell qui avait sauté sur une mine ... Combien de bidasses sont revenus d'AFN vidés, traumatisés au point de ne plus croire en eux-mêmes.
C'est le pire, à mon avis, qui puisse arriver à quelqu'un :
il paraît vivant, il travaille, il parle, mais il est vide, éteint - et il ne le sait même pas - , il agit par intuition, sans possibilité de réflexion. C'est ainsi, je crois, que notre génération a glissé au fil des années jusqu'à l'impasse où se trouve aujourd'hui toute notre société.
Sais-tu que nous aurions pu nous rencontrer en AFN sous l'uniforme ? à ceci près que j'étais à l'autre bout du pays, à la frontière marocaine. J'ai débarqué au fond du bled, la veille de Noël 60, dans les montagnes de Tlemcen, à 1400 mètres d'altitude, entre des villages détruits et un camp de regroupement : Sidi Larbi... J'y suis resté jusqu'en octobre 1961. C'est que j'avais eu la chance de faire 18 mois en France, à Blois, au 5ème RI, un vieux régiment à l'histoire glorieuse ( ! )
Après mes classes à la section EOR, j'ai refusé d'aller à Cherchell, à l'école d'officiers, si bien qu'ils m'ont gardé comme instructeur de jeunes recrues, jusqu'aux galons de serpate. Je crois que ma situation de séminariste jouait à mon avantage, l'armée en métropole suivait De Gaulle et croyait plus ou moins à la pacification ; avoir un humaniste dans ses rangs, ça pouvait faire bien ...
Au séminaire, avec les témoignages des anciens qui étaient revenus de là-bas, nous avions connaissance des exactions, des tortures, du rascisme ... mais nous n'avions qu'une opposition morale et non politique à cette guerre. En conséquence, j'ai revêtu l'uniforme avec un bel idéal personnel de justice et de paix, c'est-à-dire plein de naïveté et d'ambiguité : j'étais contre la guerre mais au point d'être objecteur de conscience ; je ne voulais pas être officier mais j'acceptais d'être sergent ! ... J'avais même résolu de ne tuer personne et au besoin d'enlever la culasse de mon fusil pour ne pas avoir à tirer par réflexe pour me défendre , - tu reconnais le précepte chrétien du " salut individuel " ! ...
Mais en fait quand je me suis retrouvé en bouclage à la frontière, face à l'ennemi, je veillais à ce que toutes mes armes soient en bon état de marche ...
Tu penses bien qu'il m'est facile d'imaginer ce qui t'animais quand tu as été envoyé en patrouille sans munitions - et quatre fois ! Oui, toi, tu en as vraiment chié ! C'est miraculeux qu'un si petit bonhomme ait pu résister à tant d'épreuves ! - Mais c'est aussi une victoire magnifique d'un coeur humain contre la bêtise et la haine ... Je te félicite d'avoir pu écrire ce livre, parce que non seulement il rapporte des faits réels et méconnus, mais il fait la démonstration que la force de conviction, si elle est humainement juste, est capable de vaincre toute souffrance et la mort. C'est un beau témoignage dont les français, jeunes et vieux, ont besoin pour sortir de l'abattement et la torpeur qui les accablent aujourd'hui. Il n'y a pas de sauveur suprême, il faut payer de sa personne si l'on veut que la vie soit belle.
Moi aussi, je suis revenu moralement blessé, humilié d'avoir participé à cette sale guerre. Moins tout de même que mon camarade de séminaire que j'ai vu au retour péter les plombs en plein cours de théologie : il délirait, incapable de se remettre d'avoir tué par erreur son meilleur ami au cours d'une embuscade ...
Pour l'anecdote, je peux ajouter que du fond de notre trou, c'est par les transistors que nous avons suivi le putsch d'avril, - tous solidaires des gars du contingent qui s'opposaient aux factieux. Mais le mardi 25 nous avons vécu une " diversion " de taille. Tout près de notre poste, une section fell a été accrochée ...
Jusqu'à présent toutes les entreprises de franchissement de la frontière avaient échoué, se brisant contre la haie électrifiée à 5000 vols et les barbelés jonchés de mines. Les nôtres disaient que c'était une barrière infranchissable. Les tentatives avaient toujours lieu au clair de lune, avec un ciel clair. Si bien que lorsque je me retrouve dans la nature au clair de lune, avec cette lumière froide et blafarde si caractéristique, je suis renvoyé immédiatement là-bas, quand nous étions en embuscade à guetter ...
Depuis quelques mois, circulait la rumeur que les fells étaient entraînés par un certain Tintano. Il y avait en effet des camps d'entraînement du côté d'Oujda, la ville marocaine située au pied de notre montagne que nos artilleurs, quand ils s'énervaient, bombardaient à coups d'obus de 105. Or, disait-on, Tintano avait promis que le jour où il s'y mettrait lui-même, ça passerait et ça ferait mal ...
Cette nuit-là, c'était peut-être ça. En tout cas, j'ai entendu des bruits furtifs dans la broussaille en contre-bas ...
C'est au petit matin qu'ils ont été répérés - derrière notre ligne de bouclage. Je crois bien que quelques gradés ont voulu profiter de l'occasion pour sortir de l'embarras du choix politique à poser en faisant du zêle au feu. Les fells s'étaient solidement retranchés sur un piton, et l'attaque pour les débusquer a été menée dans la confusion, sans concertation suffisante, malgré les roquettes des T6. Résultats : des morts et des blessés, autant d'un côté que de l'autre, y compris un lieutenant. J'ai vu les hélicos emporter les corps, et aussi des algériens de mon âge embarqués vers l'arrière. A la nuit tombée, ça tirait toujours. La rumeur disait après coup que Tintano avait réussi à s'enfuir à la faveur de la nuit.
Mon cher Jacques, me voilà à t'écrire ce que je n'ai jamais écrit à personne, - je l'ai juste raconté par bribes à mes proches. C'est drôle, mais c'est comme si je te racontais la vie d'un autre, tellement ça me paraît loin. Heureusement, je n'ai jamais eu à tirer sur un autre homme, mais je dois bien reconnaître que c'est dû aux circonstances et non à mon courage, - et donc avouer que j'aurais pu le faire !
Tu notes juste le " sentiment de culpabilité " sans développer. Mais je comprends quel travail tu as dû faire sur toi-même pour te récupérer. Tu es même devenu un témoin émouvant, un combattant infatigable contre la guerre, un exemple d'humanité. Chapeau !
Parce que les sadiques ont fait fort pour t'abattre, jusqu'à te condamner toi le pacifiste, à faire le travail de pourvoyeur d'armes en tous genres. C'est pour moi le comble du sadisme, qui rappelle la méthode des nazis à la Shoah, lorsqu'ils choisissaient des juifs pour être les exterminateurs de leurs frères ...
Mais leur acharnement n'a réussi qu'à te fortifier, à transformer ton supplice en victoire, ta faiblesse en force inébranlable, - et à faire de ta vie un formidable encouragement pour tous ceux qui combattent pour un monde meilleur.
Merci pour tout, mon frère, je suis content de te connaître. Je suis sûr que quelque part dans le ciel le petit Tourtaux est inscrit dans le livre des Justes.
Longue vie à toi !
Pierre Leray
J'ajoute à cette remarquable lettre où Pierre fait la GUERRE A LA GUERRE, qu'un autre petit bonhomme a connu de terribles souffrances, infligées lors de la Guerre d'Algérie par des tortionnaires parachutistes français : notre camarade Henri Alleg.
Jacques Tourtaux