ENTRETIEN AVEC ANTONIS KARAVAS, MEDECIN DANS LE SYSTEME PUBLIC DE SANTE GREC : " DANS LES HOPITAUX EN GRECE, ON MANQUE DE TOUT "

Publié le par Tourtaux

karavas.jpg« Dans les hôpitaux en Grèce, on manque de tout »
Entretien réalisé par Heike Schrader, pour Junge Welt avec Antonis Karavas, médecin dans le système de santé publique en Grèce



Traduction WM pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/



Le système de santé public est aussi touché par les mesures d'austérité. Quelle est la situation sur place?


Avec la crise, le nombre de patients augmente. Les dépressions, suicides, la consommation de drogue ont explosé. Même les pathologies physiques se sont développées. La Grèce n'a pas les structures publiques pour offrir des services de santé de base. Nombre d'examens de contrôle ne sont ainsi pas pris en charge par l'assurance maladie. Avec la crise, la situation financière de beaucoup de Grecs s'est aussi considérablement dégradée. Conséquence immédiate, on ne va voir le médecin que lorsque la maladie a déjà atteint un stade avancé. Et au lieu de donner aux structures étatiques les moyens de protéger et de soutenir ces personnes, on réduit continuellement les dépenses du système de santé.



A quoi ressemble concrètement la situation à l'hôpital?


On manque de tout, les fournisseurs ne sont pas payés et n'assurent donc plus leurs livraisons. On manque de matériel quotidien, de bandages, de désinfectants, même de nourriture que les proches des patients doivent désormais apporter eux-mêmes à l'hôpital. Des opérations doivent être reportées faute de matériel. Une situation tragique au XXI ème siècle.


D'autre part, la corruption n'a pas cessé. Du matériel médical et des médicaments sont encore achetés à des prix artificiellement gonflés. Des entreprises graissent la patte à des médecins pour qu'ils écoulent leurs produits.



Le gouvernement avait annoncé en 2010 son intention de centraliser l'achat des fournitures nécessaires aux hôpitaux. Qu'en est-il advenu?



Rien. Ce serait une très bonne chose si les achats étaient centralisés. Au lieu de cela, chaque hôpital achète ce dont il a besoin. En principe, les hôpitaux ne sont pas en mesure de réaliser des commandes supérieures à un million d'euros. Mais pour contourner les contrôles, on découpe ces grandes commandes en ordonnances d'une valeur plus faible. Cela pourrait se passer autrement, comme en Angleterre par exemple. On calcule combien de stimulateurs cardiaques sont utilisés chaque année en moyenne, et on procède à un achat centralisé, ce qui permet d'avoir le matériel à un prix avantageux. Cela n'est pas fait, car cela supposerait rentrer en conflit avec ceux qui tirent profit de la corruption et du clientélisme.



De nouvelles mesures d'austérité sont prévues, qu'en est-il pour le système de santé?


Avant tout, ce sont des hôpitaux qui vont fermer ou fusionner. Concrètement, il est prévu de fermer 50 des 132 hôpitaux du pays pour des raisons financières. Les candidats à la fermeture sont essentiellement les hôpitaux ruraux et les petites cliniques à Athènes. Ils ont été sélectionnés sous prétextes qu'ils sont sous-utilisés. Selon le Syndicat de la santé, cette évaluation ne correspond pas à la réalité.



Dans la discussion, une proposition a été avancée, celle de couvrir intégralement par la caisse d'assurance-maladie des dépenses allant jusqu'à 1 500 €/an et d'introduire également une assurance-complémentaire pouvant aller jusqu'à 50%. Qu'en pensez-vous?


C'est une approche totalement inacceptable. Ici, on ne considère la santé que sous son aspect comptable. Cela ne peut pas être le cas. Pour ceux qui souffrent de maladies chroniques, par exemple, des malades du rein qui ont besoin d'une dialyse régulière, cette limite serait dépassée au bout d'un petit mois. Certains médicaments anti-cancéreux, à titre d'exemple, coûtent des centaines d'euros. Une journée en réanimation coûte de 700 à 800 euros. Doit-on voler quelqu'un qui ne peut pas payer, après deux jours de soins intensifs?



Les dépenses Grecques pour les soins de santé sont très élevés, c'est incontestable. Quelles en sont les raisons?


On doit distinguer les dépenses pour la santé publique et celles des établissements privés. Dans la santé publique, les chiffres révèlent une tout autre image. Alors que dans la zone Euro, c'est en moyenne 12% du PIB qui est consacré aux dépenses publiques de santé, en Grèce c'était 6% avant la crise. Avec les coupes, nous sommes désormais retombés à 4%.


Dans l'ensemble, toutefois, si les dépenses pour la santé en Grèce sont très élevées c'est parce que l'argent est essentiellement dirigé vers les établissements privés. Cette situation ne s'est pas arrangée avec la crise, elle se serait même renforcée. Si on examine les conditions de remboursement de la nouvelle caisse d'assurance maladie unifiée, créée à partir de la fusion des anciennes caisses particulières et des organismes privés, on paie les prestations privées au prix fort. Plutôt que de réduire les tarifs, par exemple pour une naissance dans une clinique privée, le gouvernement paie 4 000 €, tandis qu'un patient privé ne paie que 2 000 €. Au total, nous versons des sommes comparables dans le secteur privé à celles que pratiquent les Etats-unis ou le Mexique qui ont complètement privatisé leur système de santé. Certains établissements privés en tirent des bénéfices considérables.



Si on ne fait pas d'économies de cette manière, qu'est ce qui est en jeu alors?


Il ne s'agit pas juste de coupes. Il s'agit de privatiser l'ensemble du secteur de la santé. Jusqu'alors, par exemple, la plupart des recherches étaient réalisées dans les laboratoires de la caisse d'assurance-maladie de l'Etat. Mais les moyens manquent et les chercheurs sont contraints d'avoir recours à des laboratoires privés. Cela va coûter beaucoup d'argent aux caisses de l'Etat, plus que la gestion de ses propres labos. Nous avons ainsi, d'une part, les coupes drastiques, d'autre part la privatisation du système de santé est poussée encore plus loin. Le but ultime, c'est l'externalisation complète des soins de santé au privé.



Parmi les raisons de l'état désastreux des caisses d'assurance-maladie, le gouvernement et les médias nous rabâchent continuellement le fait qu'un certain nombre de Grecs, peut-être des milliers, se sont constitués frauduleusement des pensions d'invalidité. Est-ce que ces fraudes, du type de cette fameuse pension d'invalidité pour cécité accordée à ce chauffeur de taxi, sont responsables de la faillite imminente des caisses de l'Etat?


Il a fallu des décennies pour en arriver à cette situation en Grèce. Elle est fondée sur une compréhension erronnée de ce qu'est l'Etat-providence, qui est devenu ici un Etat clientéliste. Cela doit changer naturellement. Mais au lieu de viser spécifiquement ces fraudeurs, on réduit les dépenses pour tout le monde. Mais l'importance que les médias donnent à ce phénomène ne correspond à la réalité. On laisse croire que le versement de prestations d'invalidité injustifiées serait la cause de la crise de l'assurance-maladie. En réalité, c'est une goutte d'eau dans la mer. Le non-paiement des cotisations sociales patronales constitue l'essentiel du trou des caisses d'assurance-maladie. Pour la seule année dernière, cela représente environ huit milliards d'euros. Les patrons ne paient, dans une large mesure, pas leurs cotisations sociales. Soit parce qu'ils font travailler leurs employés au noir, soit parce qu'ils ne versent tout simplement pas leurs cotisations. Même dans ce dernier cas lorsque les choses tournent mal pour eux, et qu'ils se retrouvent devant la justice, soit ils font valoir la prescription, soit il y a entente à l'amiable, et l'entrepreneur n'a qu'à payer une petite partie des cotisations. La diminution des recettes de la caisse d'assurance-maladie est due également à la hausse du chômage, à la baisse des salaires, et à la conversion des postes à temps plein en emplois précaires, faiblement rémunérés. En revanche, les pensions d'invalidité frauduleuses sont quantité négligeable.



Des centres de santé auto-gérés ont été mis sur pied essentiellement dans les grandes villes, comme à Athènes et Salonique. Les médecins y offrent des soins gratuits pour des personnes sans assurance maladie. Est-ce la solution au problème?


Ces initiatives sont très importantes, c'est sûr. Beaucoup de gens peuvent être aidés de cette façon, en particulier ceux qui n'ont pas accès aux soins de santé basiques, que l'Etat n'a du reste jamais assuré en Grèce. Mais ces centres de santé auto-gérés ne peuvent traiter que les cas les plus simples. On ne peut pas compenser de cette façon la fermeture des hôpitaux. On ne peut pas réaliser toutes les opérations et faire des commandes pour des médicaments coûteux. Ce sont de bonnes initiatives, mais elles ne peuvent compenser le démantèlement du système de santé national.


                                                                                                                     Mardi 21 août 2012

Publié dans GRECE

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T
Pendant une période plus faste pour les occidentaux et les EU, des spécialistes en philosophie politique ( Rawls et même Fukuyama avec sa connerie de "fin de l'histoire" qui avait tant plu aux<br /> chieurs d'encre des medias) avançaient des arguments utilitaristes pour prendre la mesure du sytème économique (et politique) qui régit la planète. Selon leur méthode et en schématisant à<br /> l'extrême, il convenait de regarder dans quelle mesure un système même inégalitaire, même injute, produit par effets de rebond ou par redistributions, une amélioration des conditions de vie de<br /> l'ensemble de l'humanité. Le système est estimé efficace et supportable autant que le bénéfice pour l'ensemble est supérieur aux injustices, misères, exploitations qu'il engendre par ailleurs. Le<br /> système capitaliste leur semblait être ce système - imparfait certes- mais le meilleur de tous. Ses crises systémiques, sa prédation des matières premières et des écosystèmes, son exploitation<br /> cynique des humains et du vivant prouvent chaque jour que le système capitaliste n'engendre pas une plus grande richesse pour tous mais nous emmène vers la destruction de la planète. Ce que le<br /> système capitaliste a toujours perdu de vue, c'est que son intérêt général - en tant que classe - ne correspond pas - au sens où un couvercle correspond à sa boîte - à la somme des intérêts<br /> particuliers des capitalistes (actionnaires et propriétaires) qui tirent chacun à hue et à dia (la Finance par exemple) jusqu'à faire imploser le système. Tout le monde y passera si on n'y met pas<br /> un terme.
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T
<br /> <br /> Tu as tout à fait raison de dire que si on n'y met pas de suite un terme, nous allons à la destruction de la planète. Les capitalistes se bouffent entre eux à celui qui détruira les autres. C'est<br /> ainsi qu'arrivent les guerres et c'est maleureusement ce que je pressens. Nous sommes au bord du précipice face aux impérialismes antagonistes qui sont sur le point d'en découdre, non plus à<br /> l'échelle d'un ou deux pays mais à l'échelle régionale, pour commencer qui impliquerait plusieurs pays et entrainerait la mort de millions de personnes pour ensuite dégénérer en conflit mondial<br /> nucléaire. C'est pour toutes ces raisons que je refuse, à mon petit niveau de cautionner les faiseurs de guerre et de les combattre de toute mon énergie et crois moi, de l'énergie, j'en ai à<br /> revendre même si des trahisons se font jour ici et là mais tu n'es pas atteint par ce mal qui ronge tant de monde.<br /> <br /> <br /> <br />