PARIS : A BARBES, LES MILLE ET UN VISAGES DU RAMADAN
Société - le 11 Août 2010
Le ramadan 2010, temps fort de l'islam, a commencé mercredi matin en France, marquant le début d'un mois de jeûne du lever de l'aube au coucher du soleil pour plus de cinq millions de musulmans.
Reportage de Barbès à Saint-Ouen, à la rencontre de tous ceux qui vont dès aujourd'hui entrer dans la période du mois sacré. Dans une rue adjacente du boulevard Rochechouart (18ème), une bande de jeunes prennent le soleil à la terrasse du leader mondial des fast-food, lunettes solaires, casquette et nonchalance en bandoulière. Mais ils abandonnent bien vite cette douce torpeur aussitôt le sujet du Ramadan évoqué. Paradoxalement, c’est chez ceux qui, comme Mohamed, 25 ans, ne feront pas nécessairement le jeûne que la défense d’un Ramadan fait dans les règles de l’art est la plus forte. « Le Ramadan, c’est d’abord quelque chose de religieux, explique-t-il. Le jeûne sans la prière, ça n’est pas valide. ». Pourtant, Mohamed ne compte pas faire le Ramadan ; il l’a fait, plus jeune, mais au moment de la post-adolescence, « on se disperse », comme il le confesse. Il y reviendra, sans aucun doute, plus tard. Comme Sam ou Sada, la vingtaine, qui travaillent respectivement dans la restauration et dans l’immobilier. Avec la maturité, la spiritualité grandit ; si donc le Ramadan s’inscrit d’abord dans une pratique familiale et culturelle, celle-ci se transforme chez certains en véritable profession de foi, au cours d’un cheminement personnel.
A Mohamed qui s’interroge sur le rôle de la pression sociale dans la pratique du carême, Sam rétorque vivement : « Le Ramadan, tu ne le fais pas pour les autres, tu le fais pour toi ». « Tu le fais pour Dieu », se corrige-t-il. Tous trois ont à cœur de revenir à la définition fondamentale du musulman : « Etre musulman, c’est respecter les cinq piliers de l’Islam ; ça ne sert à rien de faire un Ramadan à la carte, en choisissant la facilité, et en dissociant le jeûne et la prière. Si tu ne le fais pas correctement, tu ne seras pas absout de tes péchés ». Pour Mohamed, il y a de l’opportunisme de la part des média à s’intéresser à l’Islam une fois par an, au moment du carême, ou quand les voitures brûlent dans les quartiers chauds. Chez une partie des musulmans aussi, d’ailleurs, qui ne font vivre leur identité qu’au moment du Ramadan. « Le Ramadan, c’est un rappel de la conduite à tenir tout au long de l’année pour être en accord avec soi-même et avec Dieu », rappelle-t-il.
« Faire le jeûne, les prières, c’est être dans le vrai », Sada
Cette défense farouche d’un Ramadan authentique , portée par des jeunes dont la foi est encore vacillante ou confortée au fil des ans, tranche avec la souplesse pratiquée par certains musulmans adultes envers l’exercice des prières, notamment.
C’est le cas d’Abdul, 53 ans, originaire du Mali, croisé sur un banc en compagnie de Bechir, 57 ans, maître cuisinier. Abdul est arrivé en France en 1976, après avoir suivi des études de philosophie à l’université d’Etat de Moscou (МГY) ; il est aujourd’hui infirmier-ambulancier. Il ne revendique pas le titre de musulman pur et dur mais enracine son identité dans l’histoire culturelle de son pays d’origine : « Je suis accidentellement né dans un pays musulman, mais cette identité musulmane est le fruit de colonisations successives. A la base, le Mali est un pays animiste. Etre musulman est un héritage familial. ». Pour autant, Abdul a la foi, « en dépit de mes études de philosophie ! ». Sa pratique du Ramadan sera adaptée aux horaires de son métier. Il compte donc choisir quelques jours pour pratiquer le jeûne, « un peu au hasard, le premier, le troisième, le septième, le dernier, etc ». Il est nécessaire d’observer le jeûne pendant tout le mois saint afin d’être absout de ses péchés. Et tant pis pour Abdul si aucun des ces jours ne correspond au jour sacré choisi par Dieu, mais inconnu des hommes, grâce auquel le musulman connaît cette rédemption. « Alors, tout aura été vain », philosophe-t-il. Pour ne pas manquer ce jour, il est nécessaire d’observer le jeûne pendant la totalité du mois. Abdul insiste alors sur l’importance du chemin parcouru pendant le Ramadan, qui vaut peut-être plus que le résultat obtenu, et résume la démarche du croyant: « On avance à tâtons ».
Aux Délices de Micha, boulevard de la Chapelle, Nina, 18 ans, témoigne dans une atmosphère sucrée et enivrante de pâtisseries orientales : « Je suis pratiquante, je prie toute l’année, je vais donc jeûner et prier pendant un mois, tout en continuant à travailler d’arrache-pied ». En effet, la pâtisserie ne désemplit pas pendant la période du Ramadan, et Nina ne compte pas ses heures. Mais elle a la foi et ne cèdera pas aux tentations : « Je fais le jeûne depuis l’âge de neuf ans, de mon plein gré, alors même que les filles ne sont censées observer le carême qu’à partir du moment où elles sont réglées. Le Ramadan est un moment très important de spiritualité mais aussi de réflexion, pour savoir où l’on va dans la vie ».
Pour Lotfi, 32 ans, cuisinier, croisé dans un cybercafé du boulevard de la Chapelle, c’est avec le Ramadan qu’a débuté, il y a cinq ans, sa foi ; une foi qui, d’après ses mots, l’a sauvé et sauve « les gens perdus » comme lui. Désormais, le Ramadan est une pratique qui s’inscrit naturellement dans le cours de son année : il compte donc jeûner et rattraper le soir les prières qu’il n’aura pas pu faire la journée.
« J’ai même donné à une Roumaine une fois », Samir
Bien sûr, le lien social est moins vif dans la capitale qu’au bled, où tous les proches se retrouvent le soir pour rompre le jeûne (iftar). Hichem, 52 ans, qui tient une friperie à la sortie du métro Barbès Rochechouart, insiste sur cette dimension de convivialité propre au Ramadan. « Musulman laïc », il ne fera pas les prières mais se contentera du jeûne, suivant en cela des pratiques culturelles transmises par sa famille. Il met, d’ailleurs, en avant les bienfaits du carême pour la santé : « Pas de tabac, pas de café, pas d’alcool, c’est une purification du corps et de l’esprit ». « Le Ramadan, insiste-t-il, c’est surtout un moment où, privé d’eau et de nourritures, l’on s’ouvre à la pauvreté. » La pratique de l’aumône est donc très répandue pendant le carême, que l’on soit musulman « laïc » ou pratiquant.
Elle est d’ailleurs destinée à tous ceux qui se trouvent dans le besoin, et n’est pas restreinte à la communauté musulmane : « Lors de la fête d’Aid el Fitr, qui met un terme au Ramadan, il n’est pas rare voir des chrétiens, des athées qui viennent partager un repas à la mosquée », explique Lotfi. Ainsi, chaque année, Samir, 29 ans, qui travaille dans un grand bazar de l’avenue de Saint-Ouen pour payer son master en gestion des entreprises, donne un budget de vingt euros environ aux pauvres croisés dans la rue. Il est frappé du changement de comportement des gens pendant le mois béni : « plus de gentillesse, plus de serviabilité, une vraie métamorphose ». Abdul, lui, fait des dons à des organisations caritatives ; Sada apporte de la nourriture à ceux qui n’en ont pas, ou aux musulmans qui préfèrent rompre le jeûne avec une brick et quelques dattes plutôt qu’avec un hamburger.
« Au bled, le Ramadan, ça n’a rien à voir », Sam
Retour à la terrasse de Rochechouart. Il faut entendre Sam, Sada et Mohamed parler de l’ambiance incroyable qui règne au bled pendant la période du Ramadan, avec force détails et dans une ferveur non feinte : « Là-bas, c’est magique ; la journée tout est fermé, les gens prient de façon synchronisée, tout le monde se retrouve le soir ». C’est qu’au bled tout le monde suit scrupuleusement le Ramadan, dans un mouvement d’entraînement collectif qui n’est peut-être pas totalement exempt d’une forme de contrôle social. Mais Barbès n’est pas en reste : « Venez dans le quartier tous les soirs, deux heures avant la rupture du jeûne, les gens descendent dans la rue, tout s’anime, on va acheter la nourriture du soir, décrit Sam avec gourmandise, on mange avec les yeux ».