PAYS BASQUE : 3 ARTICLES DU SUDOUEST DIMANCHE

Publié le par Tourtaux

 

Une prison qui roule

En ce dernier dimanche d'août, des millions de Fran­çais vont s'élancer, comme moi, sur les autoroutes. Celles du sud, du nord ou du centre. On nous an­noncera comme à l'accoutumée des centaines de ki­lomètres de bouchons ou de ralentissements. Durant tout ce temps, nous négligerons les bulletins d'informations pour écouter avec attention les fameuses stations de radio spécialisées qui nous prodiguentleurs conseils de con­duite sur la fréquence 107.7 et nous avertissent des bou­chons ou des accidents.

Notre oreille sera, en somme, prise en main. Adieu les horreurs syriennes ! Au diable les péripéties politiciennes ! Ces radios-là n'en ont cure. Elles rivalisent de suavité gen­tillette et d'intonations protectrices. Côté musique, elles vous déroulent un tapis de velours sans dissonances. En clair, un jus sonore décontractant, analogue à ce qu'on en­tend dans les ascenseurs ou les salles d'attente. Côté infos, elles s'intéressent exclusive­ment aux ralentissements sur l'A 10, bouchons sur l'Océane ou la Languedocienne, froisse­ments de tôles à Fourvière ou carambolage sur le pont d'Aquitaine.

Pour peu que votre autora­dio soit équipé du TP (Trafic Programme) ou du TIM (Trafic Mémo), vous n'échapperez pas longtemps à leur sollicitude de confessionnal. Mieux encore : engourdissement mental de l'automobiliste et monotonie du bitume, tout conspire à vous laisser capter par ce ma­ternage sonore qui, d'un péage , à l'autre, veille délicieusement sur votre trajet et vous suggère quelques délestages opportuns.

Ce qui se passe sur cette fréquence autoroutière est bien plus intéressant qu'on ne l'imagine. Écoutées - les jours de pointe comme ce dimanche 25 août- par des millions d'automobilistes, ces radios constituent un genre médiati­que avec ses règles, sa philosophie (tout doux, on se calme, on est gentil..), sa gaieté appliquée et sa directivité soft. Les lolitas qui y égrènent de redoutables nouvelles sur la circulation n'ont pas leurs pareilles pour vous dédramati­ser la pire pagaille avec un gloussement velouté.

Utilité prosaïque mise à part (elle est évidente, car ces ra­dios font bien leur travail), il n'est pas interdit de voir dans ces émissions sans couture l'archétype d'un possible monde futur. Et d'y penser comme s'il s'agissait d'un cau­chemar. Une si gentille et si irréprochable prise en main ne vous laisse aucune échappatoire. Face à un condition­nement aussi précautionneux et « désintéressé » (ne veille-t-on pas sur votre sécurité ?), toute critique s'émousse, ' toute résistance ferait scandale. S'insurge-t-on contre la vertu ? Le prototype pour rire, en somme, de ce que pour­rait être, un jour, demain, après-demain, une propagande postmoderne et orwellienne au service delà « tyrannie du bien».

Et puis, cette radio autoroutière est un territoire clos, un espace borné, une prison qui roule. Elle nous éloigne un peu plus du vrai monde. A-t-on remarqué que, depuis belle lurette, de vastes panneaux sont dressés de loin en loin ? Ils y symbolisent, dessinés à grands traits, le château de La Brède, la baie de Châtelaillon, le pont du Gard, le ca­nal du Midi ou les calanques de Cassis. Réplication vir­tuelle et immatérielle d'une « doulce France » désormais inaccessible derrière les grillages protecteurs de l'auto­route.

C'est cette mise à distance du réel que complètent - et renforcent jusqu'à l'effroi - ces radios autoroutières, osten­siblement prévoyantes et tyranniquement utiles. Avant qu'on invente cette fréquence, la radio de bord tradition­nelle branchée sur le vaste monde laissait venir jusqu'à nous le flux de sons imprévisibles et discordants, une chanson, un flash, les échos d'un abject massacre chimi­que, disons un risque et une liberté. Celles-ci sont infini­ment plus « vertueuses » et doucement autoritaires.

Tais-toi, disent-elles, et conduis droit !

 

JC. Guillebaud

 

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RONCEVAUX : ON NE CONNAÎT QUE TROP LA CHANSON

Les aventures romancées de Roland éclipsent la défaite de Charlemagne

 

PIERRE PENIN

p,penin@sudouest.fr

 

Anselme, le comte du Palais, a d'abord préféré cacher son inquiétude. Non par crainte que son surnom de « Preux » en souffrît. Plutôt par la connaissance des ressorts enfouis, viscéraux ou psychologiques, supérieurs à toute science établie lorsqu'il s'agit de con­duire la troupe : il n'est de plus sûr péril au combat que l'hésitation des chefs. Mais, à Roland, préfet de la marche de Bretagne et comman­dant de l'arrière-garde de l'armée franque, il peut dire son noir pres­sentiment (l):

« Ce chemin que l'on tient pour évident parce que le plus court et di­rect...

-Eh bien?

-Vous le savez comme moi, et comme moi vous feignez la sérénité: cet escarpement fait comme un goulot et la montagne nous do­mine.

-Je le sais comme vous... »

Le col de Bentarte, non loin d'Orria (2), sera le caveau des chevaliers, ce 15 août 778. Avec eux, plus de 10 000 hommes vont rnourir. Peut-être 15 000.

 

Les soldats francs forment l'essentiel de l'armée du roi Charlemagne. Des mercenaires aus­si : Bavarois, Lombards, Provençaux, Aquitains. Ceux qui vont ainsi à la mort par ce val au creux des monts pyrénéens l'ont donnée naguère sans faiblesse pour dominer les Saxons et s'en reviennent de leur nouvel horizon à soumettre, l'Espa­gne.

Cette campagne a vu étrange épi­sode devant Saragosse. Les portes de la ville maure devaient s'ouvrir en grand devant la puissance caro­lingienne. Telle était la promesse de Sulayman, wali de Barcelone et de Gérone, formulée à l'Assemblée de Paderborn. « Je vous livrerai Sara­gosse et d'autres encore ». Anselme maugrée depuis la Navarre : « On a dit que nous partons en croisade pour le Christ, en terre sarrasine. Les hommes croient cette foutaise. »

« Le roi le veut », abrège Roland. Su­layman, en révolte contre l'émir de Cordoue, espère Charlemagne pour allié. Le souverain y voit une position à investir. Mais Saragosse ne se donnera jamais. Le roi le plus puissant du continent a négocié son départ : de l'or et des prison­niers. Sulayman, considéré comme traître, est mis aux fers.

Sur la route du retour, Pampelune a essuyé la rage du monarque pour l'affront de Saragosse. Plus un mur d'enceinte ne la protège désor­mais : rasée. Pampelune la chré­tienne, pourtant. La vasconne (3) aussi.

 

Déjà la dentelure des Pyrénées. Il faut bien les traver­ser, pour enfin retrouver le royaume. Et quitter cette campa­gne insensée. « Pour mieux se pré­parer aux conséquences d'actions incomprises par les plus fidèles entre les fidèles », pensent les bien avi­sés conseillers de Charles le Grand.

Le roi et sa garde cavalent en tête de l'interminable cortège. Deux ki­lomètres au sud, Anselme le Preux et Roland dirigent l'arrière. « C'est un chemin pour les pèlerins ou les bandits. Pas pour une armée, peste Anselme. Il ne faut pas tarder. »

La cohorte des hommes s'étire, de plus en plus longue, dans le détroit rocheux. Elle longe bientôt une crevasse. Il est presquel9 heures. Le solei1 ne décline pas encore quand tombe la première pierre. Les chevaliers pensent d'abord à une attaque des Sarrasins. Mais ils ne recon-naissent ni leur armement ni leurs façons guerrières. Là-haut, sortis des bois de hêtres comme jaillit le feu du ciel, des hommes aux allures de villageois. Hors d'atteinte, même pour les archers. Sans répit, ils brandissent des blocs détachés de la montagne complice,les précipitent vers l'armée de fourmis, tout en bas. « DesVascons!»

Pluie meurtrière. Chaos de granit. Tentatives dérisoires de parer cette mitraille. Ceux qui allaient à cheval s’abrritent en vain derrière la masse chaude de leur bête, lorsqu'elle les précède dans le trépas. D'autres sont piétinés par leur monture. Le corps déjà sans vie d'un fantassin éclate comme un fruit mûr sous une nou­velle pierre. Combien meurent étouffés, dans la pulsion désespérée qui les jette vers l'escarpement du chemin ? Le même mouvement fou précipite ceux qui passent le goulet dans le sol ouvert, au bord du passage. Sur la terre brûlée par l'été, le sang coule en auréoles de boue.

 

Roland sonne de son cor pour appeler l'avant à l'aide. Il est trop tard. Lui aussi mourra. Les Vascons descendent dans la gorge. Agi­les et légers, ils semblent voler de­vant les derniers adversaires qui ploient sous brognes et armes. Ils ont aiguisé leurs lances sur le roc de Bentarte et poussent les survivants, quoique plus morts que vifs à cette heure, dans le précipice où gisent déjà des centaines de cadavres.

Razzia sur le bagage. Évaporation. En moins d'un éclair, l'assaillant feu follet s'évanouit dans sa montagne. Qui peut croire, devant tel charnier, que l'assaut a cessé avant la nuit ?

 

(1) Les dialogues sont imaginaires, ados­sés aux éléments historiques disponibles.

(2) En 778, le nom de Roncevaux n'appa­raît encore nulle part. C'est celui d'Orria,

(3) Les Vascons d'alors s'appellent au­jourd'hui les Basques.

 

À lire

« ORRIA OU LA BATAILLE DE RON-CEVAUX ». L'ouvrage de Pierre Narbaitz, édité en 1978 (Zabal), est à ce jour certainement le plus fiable et do­cumenté concernant la fameuse ba­taille. À son propos, l'histoire, dans sa tentative d'établir les faits dans leur réalité probable, a toujours été sup­plantée par la légende de Roland, chanson de geste qui travestit en haut fait une piètre défaite de l'ar­mée franque. Ce précieux livre de Pierre Narbaitz est aujourd'hui épuisé.

 

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Université d’été du PS

 

La sociologue ouvre la boîte à gifles

Monique Pinçon-Chariot a apporté un bol d'air frais dans un débat lié à la finance et aux paradis fiscaux

 

Chacun se souvient encore du fa­meux « Mon ennemi, c'est la finance», lancé par François Hollande lors du meeting fondateur de sa campagne présidentielle, au Bourget, le 22 janvier 2012.

Dans cette droite ligne, la séance plénière d'hier matin intitulée « Dominer la finance, combattre les pa­radis fiscaux» était alléchante. D'autant plus qu’y participaient deux ministres (Bernard Cazeneuve et Benoît Hamon), plusieurs parlementaires (dont Christian Paul et Karine Berger qui se place de plus en plus souvent dans la lumière), PierreLarrouturo. En réalité, la« vedette » du rendez-vous, la plus applaudie, aura été Monique Pinçon-Chariot, la sociologue qui, avec son mari, observe à la loupe le monde des riches depuis des dé­cennies. En réponse à Karine Berger qui avait dénoncé le mécanisme des paradis fiscaux, « arme de destruc­tion massive agissant contre la souveraineté de l'Etat », elle a répondu « non ». « Les paradis fiscaux prospèrent grâce à la complicité de l'État. La BNP possède 180 filiales dans des pa­radis fiscaux, LVMH en a 140 alors qu'un ancien ministre socialiste,Hubert Védrine, siège à son conseil d'ad­ministration. .. » a-t-elle lancé, dé­nonçant « la dérive oligarchique entraînant la gauche réformiste ac­quise au libéralisme ».

En finir avec les arrangements

La suite a été du même tonneau avec des propositions pour transformer la classe politique afin que la plupart de ses cadres ne sortent plus des mêmes écoles que les « riches », qu'ils ne soient plus « toujours entre amis ». « Le jour où les arrangements entre copains de classe ne pourront plus avoir lieu, là on pourra lutter contre les paradis fiscaux ! »

Restait aux ministres à parler de leurs efforts, depuis un an, pour mo­raliser tout ce qui touche à l'argent. La loi bancaire, certes. Mais aussi, Be­noît Hamon l'a annoncé, la possibi­lité, d'ici à la fin de l'année, des ac­tions de groupe en réparation des préjudices économiques dans le do­maine de la consommation et des ententes illicites.

P. G.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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