CHARLEVILLE-MEZIERES : DES HOMMES, DES FEMMES, DES ENFANTS BRISES PAR DES POLICIERS DU SRPJ DE REIMS QUI INVENTAIENT DES AVEUX SUR ORDRES DU PROCUREUR DES ARDENNES DE L'EPOQUE
Le scandale des aveux inventés par les policiers du SRPJ de Reims n'en finit pas de faire des vagues. Touchées de plein fouet, les familles d'accueil osent aujourd'hui témoigner. Edifiant…
IL est encore beaucoup trop tôt pour prendre la juste mesure des répercussions consécutives à l'incroyable machination que nous révélions dans notre édition du 4 septembre : en avril 2004, enquêtant sur de prétendus comportements sectaires qui auraient été constatés chez trois éducateurs du service départemental d'aide sociale à l'enfance (Disa), des fonctionnaires du service régional de police judiciaire (SRPJ) ont inventé les aveux qu'ils ne parvenaient pas à soutirer aux personnes interrogées. Nous avons décrit les conditions inhumaines de garde à vue, les pressions en tout genre, les menaces ou les tentatives d'intimidation dont ont été victimes ces trois éducateurs. Suspendus à titre provisoire, leur carrière s'est arrêtée net, du jour au lendemain, sans parler de l'interdiction d'entretenir le moindre contact avec les services sociaux. Un gâchis aussi insupportable qu'injuste, manigancé par des policiers aux ordres, obéissant au procureur des Ardennes d'alors, Francis Nachbach.
Depuis la parution de cette enquête, des langues se sont déliées et d'autres témoignages nous sont parvenus. L'un des plus édifiants est sans conteste celui des femmes et des hommes formant les familles qui, à la demande du juge, accueillent en leur sein des enfants, parfois des bébés, retirés pour divers motifs à leurs parents. Victimes collatérales d'un dossier monté de toutes pièces par des fonctionnaires sans scrupules, certaines de ces familles ne sont toujours pas parvenues à tourner la page, plus de 5 ans après.
« J'étais terrorisée »
C'est notamment le cas de deux couples vivant dans l'agglomération carolomacérienne : François et Marc, Jacqueline et Michel (*), la cinquantaine, dont une vingtaine d'années à travailler comme famille d'accueil. Un boulot pas comme les autres, captivant, mais exigeant un investissement de tous les instants. « On reçoit les enfants placés, trois au plus, et on s'occupe d'eux 24 heures sur 24 heures et 365 jours sur 365, comme nos propres enfants. », explique Annie. Les parents d'accueil ont beau être des professionnels choisis entre autres pour leur
stabilité, on imagine aisément qu'à la longue, des liens se créent entre eux et les jeunes dont ils ont la charge.
Raison pour laquelle les deux couples sont tombés des nues au printemps 2004 : « On nous a accusés de couvrir les comportements sectaires de la Disa. Ils auraient refusé des soins aux enfants et se seraient arrangés pour que les gosses ne voient plus leurs parents. C'est n'importe quoi ! Les éducateurs ont toujours favorisé les rencontres entre enfants et parents. Bien souvent, ce sont même ces derniers qui refusaient les rendez-vous ! »
Quoi qu'il en soit, plusieurs parents d'accueil ont été eux aussi interrogés par le SRPJ. Avec toujours les mêmes méthodes d'intimidation… « Le policier m'a accueillie en me disant : « Hier, votre éducatrice était assise à votre place. Aujourd'hui, elle est en prison. Si vous ne voulez pas qu'il vous arrive la même chose, il va falloir nous parler… » J'étais terrorisée », se souvient aujourd'hui Françoise. « Ils ont aussi essayé d'établir des relations financières entre nous et Didier Hamel, le directeur de la Disa, ce qui était totalement faux », ajoute Michel.
Un cataclysme
Pas d'aveux donc, qu'ils aient été spontanés ou fabriqués. Mais le mal était fait. « Certains enfants sont partis en vrille. Familles d'accueil, éducateurs, tout leur système de valeurs s'est écroulé en un instant. Difficile à supporter, surtout pour des ados souvent mal dans leur peau… » Quant aux familles, certaines ne se sont pas encore remises de ce véritable cataclysme : « J'ai fait une tentative de suicide », avoue Odette, les yeux rougis à l'évocation de ces douloureux souvenirs. « Après une pause, j'ai essayé de reprendre le travail, mais j'ai craqué. Le psy qui me suivait m'a fortement poussée à arrêter définitivement pour éviter de me détruire. Notre couple a failli exploser et mes propres enfants m'ont menacée de quitter la maison si je reprenais mon activité. Aujourd'hui j'en suis sortie. Enfin, j'espère… »
Jean-Claude ROUSSEL
(*) Prénoms d'emprunt
Source : L'UNION