FEDERATION SYNDICALE MONDIALE (FSM) : POURQUOI L'UNION EUROPEENNE (UE) FAIT RECULER LE DROIT ET LES POLITIQUES SOCIALES

Publié le par Tourtaux

logo-FSM.jpg

 

Maximos Aligisakis, politologue, conseiller spéciale de la Fédération Syndicale Mondiale (FSM)

 

 

Cher(e)s collègues, Cher(e)s ami(e)s, Cher(e)s camarades,

 

Tout d'abord, permettez-moi de remercier les organisateurs de ce meeting pour leur invitation. Ce genre de réunions est extrêmement utile pour le mouvement syndical mais aussi pour les scientifiques qui travaillent sur les questions sociales. Ce dialogue entre les militants de la lutte syndicale et les chercheurs engagés ne peut qu'enrichir de façon dialectique les deux mondes: celui de l'action et celui de la connaissance.

 

Mon intervention aura pour objectif d'analyser (du point de vue de la science politique) les raisons pour lesquelles l'UE est en train de faire reculer très fortement le droit du travail et les politiques sociales européennes. Enfin de répondre à ces questions, je vais exposer brièvement trois dimensions: 1) la nature de l'intégration européenne et son alignement absolu aux préceptes du mode de production capitaliste (MPC); 2) des exemples concerts attestant que les politiques européennes se dressent contre les droits des travailleurs et des autres couches populaires (la lutte contre la pauvreté, le temps du travail); 3) l'immense responsabilité du syndicalisme officiel de compromission dans la situation actuelle du recul social et les tâches titanesques qui attendent le syndicalisme de la lutte ces prochaines années.

 

 

1) L'UE contre les peuples

 

Il y a une myriade d'études sur l'UE, sur comment elle fonctionne, que faut-il faire pour reformer ou améliorer ses institutions. Mais la majorité des universitaires ou des responsables politiques évitent soigneusement de se poser la question fondamentale : à qui profite l’Europe en construction ? Ils éludent également de s'interroger sur le comment l’Europe gère le rapport entre dominants et dominés. Cela n'est pas l'effet de l'hasard. Ils esquivent délibérément ces thématiques car elles posent la question de la nature de l'UE. Mais nous, syndicalistes d'action et chercheurs engagés, nous devons soulever très fortement cette problématique, en amenant également quelques réponses sur l'essence de l'UE.

 

Pour la propagande officielle, l'UE est la paix et la prospérité, la démocratie et le droit. La réalité, hélas, est fort différente. En effet, l'UE est un mécanisme supra-étatique qui a comme but de garantir le fonctionnement du MPC à l'ère de l'internationalisation du capital. Ainsi, l'UE impose des mesures drastiques lorsqu'il s'agit de programmes d'austérité (comme avec la crise actuelle en Grèce et aux autres pays) mais jamais quand il s'agit de droits du travail ou de politiques sociales.

 

L’Europe est-elle une démocratie ? Permettez-moi d’en douter. Il suffit d’observer la distance existant entre les actes des politiciens qui font l’Europe et les soucis du quotidien des citoyens européens. En effet, l'Europe des institutions, des structures et des relations se construit en dehors du peuple. Jamais les institutions occidentales n’ont connu un tel décalage entre population et institutions.

 

L’Europe, telle qu’elle se construit, est un « leurre » pour bien cacher le MPC dans ce continent. L’intégration européenne est la phase apparemment pacifique du développement capitaliste afin d’éviter, autant que possible, les affrontements inter-impérialistes et surtout pour faire face au changement social qui viendrait des forces du travail. L’intégration européenne est le capitalisme malin. L’Etat européen existe mais il ne se montre que rarement. C'est le prolongement des Etats nationaux dans le but de bien servir le MPC à l'ère de l'internationalisation du système capitaliste. L'intégration européenne est le stade suprême de l’impérialisme européen.

 

L'UE a épousé le concept de la gouvernance. Nous avons passé du terme gouvernement (c'est-à-dire, contrôle central du pouvoir et de la violence légitime) au terme gouvernance de l'ère des réseaux (coordination entre multiples acteurs en interdépendance). Dans cette configuration, les institutions européennes jouent le rôle de manageurs des réseaux.

 

L'européanisation est enfant de la mondialisation néolibérale, en imposant l'ordre politique européen au niveau national. Cela se passe par le droit communautaire mais aussi indirectement (soft law, Open Method of Coordination, Benchmarking, best practicies). La plus part de ces mécanismes ne sont pas démocratiques, il n'y a qu'un contrôle technocratique. Finalement, les programmes et les actions de l'UE sont bien opaques. Tous les changements proposés se font pour que rien ne change, comme disaient Visconti et Lampedusa dans un film (Le Guépard).

 

Bourdieu disait : « la construction européenne est une destruction sociale ». Ce n’est plus une simple hypothèse mais une réalité (qu’on le savait depuis longtemps mais qu’on ne le disait pas). En réalité, il faut aller plus loin. La phrase est indicative d’un épiphénomène : c’est le capitalisme (qui préside la construction européenne) qui est une destruction sociale. L’Europe n’est que protection du MPC. Ceci démontre aussi que la stratégie européiste de la « gauche » est complètement fausse. Faire d’abord l’Europe puis lutter pour qu’elle soit sociale est une entreprise vaine. Plusieurs intellectuels sont en train de se réveiller. Les votes contre la constitution en 2005 sont, en partie, une jonction entre cette analyse et le ras le bol du peuple. 

 

Il est impératif de changer le dogme actuel: au lieu de viser un marché rigoureux puis un modèle social, il convient de fonder une politique sociale afin d'aboutir à une économie robuste. Autrement dit, il faut mettre lconomie au service de l'homme et pas le contraire. Quand une construction sociale oublie l'homme et quand l'homme ne se retrouve pas dans cette formation, cette construction n'ira pas loin. L'alternative sera la construction européenne par ses peuples. Mais pour les Etats capitalistes, l'Europe, tout comme la démocratie, est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux mains des peuples. Finalement, l'UE ne peut qu'être par nature contre le droit du travail et des politiques sociales sérieuses. Elle est trop liée à l'économie du marché pour que cela puisse être autrement. Voici à ce propos, deux domaines, deux exemples illustrant mon propos théorique.

 

 

2) Exemples

 

A) L'exemple de la pauvreté en Europe

 

Il y a une contradiction fondamentale dans la logique du système social européen : d’un côté, le besoin d’être compétitif, ce qui crée des « vulnérables » ; de l’autre, la nécessité de prendre en charge les faibles que le système produit. Etant donné que l’on ne remet pas en cause la création des « vulnérables », il ne reste qu’à les gérer. C’est la tâche des politiques sociales européennes. Une politique sociale comme simple alibi d’une Europe économique est la seule hypothèse scientifique plausible. La communication de la Commission, qui accompagne l’Agenda social, procure quelques indices qui vont dans ce sens. Ainsi, par exemple, il y est écrit : « L’Europe a besoin de travailleurs actifs plus nombreux et travaillant de manière plus productive ». Il est pour le moins étonnant de trouver de telles affirmations au sein d’un texte qui doit défendre la dimension sociale de l’Europe. Finalement, le but n'est pas un emploi de qualité mais simplement l’employabilité.

 

Ici on voit toutes les impasses de l’économie du marché. L’économie capitaliste est incapable de faire face à la pauvreté. D’après les statistiques officielles, à l’aube du XXIe siècle, 16% de la population européenne vit en situation de pauvreté.Environ 80 millions de personnes sont concernées, dans une Europe qui va de l’Atlantique à la Mer Noire et de la Méditerranée à la Mer du Nord. Et qu'est-ce qu'elle propose l'UE face à cela: une année européenne de la lutte contre la pauvreté en 2010, avec un budget de sensibilisation de l'ordre de 17 millions! C'est complètement ridicule.

 

B) L'exemple du temps de travail en Europe

 

La question du temps de travail a une importance capitale pour les syndicats et le droit de travail. Les derniers rapports de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Dublin) confirment que le temps de travail moyen en Europe ne diminue plus. Une des explications possibles de cette situation viendrait du fait que la question du temps de travail est peu à peu délaissée par les luttes syndicales. C’est très grave. Le fétichisme du dialogue social à outrance prôné par l’UE, et repris aveuglement par la CES, en est certainement pour quelque chose. Dans ce contexte, dialogue social rime avec régression sociale.

 

Puis, l’Europe institutionnelle attaque sans vergogne l’acquis centenaire concernant la durée du temps de travail. La directive révisée pourrait amener la classe ouvrière de ce continent de travailler au-delà des 48 heures par semaine. Ainsi, la tendance du temps de travail partirait vers la hausse. Si la CES dit officiellement son mécontentement, elle ne fait rien de concret pour lutter contre cette directive. Elle attend passivement que le PE freine les appétits néolibéraux de la Commission et du Conseil. C’est un peu inutile de dire que la directive européenne n’est pas satisfaisante comme le fait actuellement le secrétaire général de la CES John Monks. Un syndicat qui ne lutte pas, c’est un syndicat décoratif, un excellent alibi pour le système européen de la domination capitaliste.

 

Le conflit Capital - Travail est un conflit antagonique, étant donné que le premier veut accaparer un maximum de plus-value au second. Ce jeu à somme nulle trouve toute sa pertinence à propos de la question du temps du travail. Si on allonge la durée de travail, c’est toujours pour une meilleure exploitation du travailleur. Ce n’est pas un hasard que le patronat européen (BusinessEurope) se réjouit de la révision de la directive européenne sur le sujet du temps de travail qui amènera une extension du temps de travail, une flexibilité incontrôlée, une précarisation accrue, un retour au 19e siècle.

 

La mobilité, la formation tout au long de la vie, la productivité, la flexibilité, le dialogue social, etc. : toutes ces dimensions, dans le cadre du système capitaliste, augmentent le profit des possédants, la pérennité du système de domination et l’aliénation des travailleurs. Le monde syndical doit s’opposer radicalement à cette logique. Quand la flexibilité augmente, la protection des travailleurs trinque. Puis, il faut rester vigilant avec les droits du travail, sinon on verra la semaine de 60-70 heures devenir la règle. Enfin, l’individualisation du temps de travail, c’est la porte ouverte pour les opting out et la fin des conventions collectives.

 

Encore, il ne faut pas oublier que dans le contexte actuel, non seulement la dictature du marché veut augmenter la durée du travail mais aussi il veut aussi son intensification. Dans ce cadre, la priorité de syndicat est la défense des droits de travailleurs par la lutte, et non la flexibilité par le dialogue. Il y a également un besoin urgent de rompre « la chaîne invisible », la stratégie subtile qui installe dans la tête même du travailleur la contrainte de la rentabilité et de la servitude.

 

 

3) Les syndicats du compromis et ceux de la lutte

 

De nos jours, l’Europe officielle donne sa préférence au dialogue social, tandis que l'action collective est absente dans la réalité européenne actuelle. Il est pourtant nécessaire de reconnaître les gains sociaux obtenus par le conflit démocratique. Il convient de se rappeler que la misère a régressé véritablement quand les femmes et les hommes ont lutté de manière organisée.

 

Il faut se poser la question : pourquoi cette faiblesse protestataire européenne ou internationale ? Les raisons sont nombreuses : difficulté de mettre ensemble les réseaux sectoriels ou nationaux ; complexité du système européen ou international ; opinion publique européenne ou internationale non structurée ; coûts et préparations supplémentaires pour une manifestation européenne ou internationale. Par conséquent, un syndicat, étant donné la rareté des ressources à disposition, doit faire un calcul coût-bénéfice pour savoir s’il est plus intéressant pour lui de faire une manifestation à Bruxelles ou dans la capitale d’un pays membre.

 

J’ai le sentiment que les syndicats et les ONG d’aujourd’hui sont ventriloques, attachés aux fonctions que le pouvoir leur attribue. L’exemple de la Confédération Européenne des Syndicats dans la gouvernance européenne est très parlant. Dans ce cadre de la ‘métaphore du réseau’, une nouvelle situation régit les relations collectives. Le consensus remet en cause le conflit démocratique et marginalise les syndicats. La culture du partenariat privilégie l’accord pour l’accord, sans s’intéresser au contenu. L’euro-syndicalisme devient une sorte d’extension administrative de l’Union européenne, il censure les possibilités d’action syndicale au niveau européen.

 

Dostoïevski nous avait averti sur l’isolement des temps modernes : Chacun s’isole dans son trou, s’écarte des autres, se cache, lui et son bien, s’éloigne de ses semblables et les éloigne de lui… ; il s’est accoutumé à ne pas croire à l’entraide, à son prochain, à l’humanité… ; l’esprit humain commence ridiculement à perdre de vue que la véritable garantie de l’individu consiste, non dans son effort personnel isolé, mais dans la solidarité. Les syndicats seront-ils les acteurs qui permettront de (re)trouver le lien social ? Oui, c'est possible mais il convient de dépasser la simple cohabitation civilisée pour atteindre l’homme socialisé.

 

Des Appels sont lancés, par des scientifiques progressistes, afin de dénoncer les attaques de l'UE contre le droit du travail et les politiques sociales. Ces appels soulignent l’imposition de la flexibilité, la forte dégradation du statut des travailleurs, la stratégie de la Commission européenne de « moderniser le droit du travail ». Dans ce cadre, on déplore que le contrat de travail à durée indéterminée est présenté comme obsolète et à faire disparaître au plus tôt ; que le statut de fonctionnaire garantissant un emploi stable et une rémunération liée à des évolutions barémiques régulières est en train de devenir une « espèce en voie de disparition »; que les protections contre le licenciement sont fortement revues à la baisse ; que le droit au départ à la retraite et au financement collectif d’une pension de retraite permettant une vie digne ont été sérieusement réduits ; que la garantie de pouvoir bénéficier dans la durée d’un revenu de remplacement décent par rapport au dernier salaire via l’allocation de chômage lors de la perte de son emploi a été considérablement diminuée. On dénonce également la Cour de Justice de l’Union européenne, dont les arrêts récents réduisent violemment les droits sociaux fondamentaux : le droit de grève ou les conventions collectives. Il devient clair que les décisions des autorités européennes nous font revenir au 19ème siècle, quand le patron régnait en maître absolu dans les relations de travail.

 

Ces Appels sont utiles pour la lutte sociale. Mais il ne faut pas se faire d'illusions. Seul un mouvement syndical de lutte, puissant et déterminé, pourra changer les attaques européennes et des Etats-membres. Les solutions sociales proposées par l'UE ne sont pas la solution mais plutôt le problème! En réalité, pour dépasser l'Europe de la misère, il faut renverser la misère politique de l'Europe: le MPC. Mais cela signifie qu'il faut dépasser la négociation pour la négociation et l'idolâtrie du partenariat social.

 

Sur tous ces points que nous venons d’évoquer et plus que jamais, l’analyse de Marx est non seulement actuel mais indispensable, tant pour l’analyse socio-économique que pour son message politique. La seule issue possible est la lutte syndicale sans concession, en se souvenant le but ultime : la fin du salariat. Le texte que je vais vous citer n’a pas pris une seule ride depuis qu’il a été écrit en 1865 pour le Conseil de l’Association Internationale des Travailleurs (la Ière Internationale). Il est plus que nécessaire de se le remémorer : « Les syndicats agissent utilement en tant que centre de résistance aux empiètements du capital. Ils échouent en partie dès qu’ils font un emploi peu judicieux de leur puissance. Ils échouent entièrement dès qu’ils se bornent à une guérilla contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur force organisée comme un levier pour l’émancipation définitive de la classe travailleuse, c’est-à-dire pour l’abolition du salariat ».

 

Je vous remercie pour votre attention.

 

Strasbourg, 7.7.2010

 

Source : FSC

Publié dans Lutte des classes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
T
<br /> Jamais la confédération CGT n'aurait du quitter la FSM qui est l'organisation syndicale mondiale de masse et de luttes de classe de référence.<br /> "La FSM rassemble sur le plan international des centrales syndicales de divers pays répondant ainsi à la nécessité de l'unité et de la solidarté ouvrière internationale.<br /> Syndicalisme de classe, syndicalisme de masse, ces deux principes complémentaires forment l'essentiel de notre conception de l'organisation syndicale. Ce sont eux qui donnent à la CGT sa force et<br /> son influence.<br /> La puissance de la CGT, l'augmentation du nombre de ses adhérents, le renforcement de son activité sont des éléments décisifs pour développer, renforcer l'unité d'action et hâter la réunification<br /> de la classe ouvrière dans une seule centrale syndicale."<br /> Voilà ce qu'était la CGT de nos ancêtres et à laquelle j'ai adhéré.<br /> Je me réjouis que quatre fédérations de la CGT soient toujours membres de la FSM. Des syndicats isolés le sont également. Il reste à souhaiter que le jeune FSC devienne rapidement adhérent de la<br /> FSM.<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> cette intervention est lumineuse !<br /> <br /> Par contraste, elle montre le niveau de collaboration de la CES avec le capitalisme européen<br /> <br /> Alors que la CES prétend soutenir les travailleurs grecs, voici une phrase qui illustre cette contradiction hypocrite<br /> <br /> http://www.etuc.org/a/7374<br /> <br /> "La CES reconnaît que le gouvernement et le peuple grecs n’ont pas actuellement d’alternative au plan de sauvetage mais estime qu’il faudra, et le plus tôt sera le mieux, y ajouter un élément<br /> supplémentaire en faveur de la croissance et de la création d’emplois."<br /> <br /> plus loin le CES ne vise qu'à transformer l'exploitation capitaliste<br /> <br /> "entamer un processus de transformation du capitalisme d’un modèle fortement basé sur le capitalisme financier et les inégalités croissantes, et en hausse rapide au cours de ces 30 dernières<br /> années, en un système à long terme plus vert et plus juste où les profits proviennent de choses réalisées et non pas d’un jeu avec des instruments financiers socialement inutiles ;"<br /> <br /> Il faut que le syndicalisme de lutte, notamment la CGT, sorte de la CES collaborationniste , ré-adhère à la FSM instrument de lutte de classes<br /> <br /> Quatre fédérations CGT adhèreraient désormais à la FSM<br /> - Ports et Docks<br /> - Agro Alimentaire<br /> - Chimie<br /> - Organismes Sociaux<br /> <br /> et tournent ainsi le dos à la collaboration de classe !<br /> <br /> Vive la FSM !<br /> <br /> <br />
Répondre