LEILA TRABELSI, LA CLEPDOMANE

Publié le par Tourtaux

 


Leila Trabelsi, la cleptodame
Portrait

Ecartant les clans rivaux, l’omnipotente épouse de Ben Ali a pillé le pays au profit de sa famille.


CHRISTOPHE AYAD


C’est l’histoire d’une Du Barry qui s’est prise pour la Pompadour et aurait pu finir comme Marie-Antoinette. L’histoire d’une «coiffeuse», qui a failli être la Régente de Carthage (1) avant de partir sous les huées de son peuple. L’influence de Leila Trabelsi, la deuxième épouse de Zine al-Abidine ben Ali, et de son clan familial était telle sur l’économie et le pouvoir tunisien que c’est à se demander qui a entraîné qui dans sa chute. Avant de quitter la Tunisie, pendant que son mari pensait encore pouvoir sauver son siège, elle aurait embarqué 1,5 tonne d’or, selon le Monde, citant des sources à l’Elysée.

Tout comme son mari, Leila Trabelsi est née, en 1957, dans une famille pauvre de 11 enfants, dont elle serait la seule fille. Elle grandit dans la médina de Tunis, devient coiffeuse et se marie jeune pour divorcer trois ans plus tard. Elle entame une liaison avec le général Ben Ali, chef de la Sûreté générale dans les années 80 et lui donne rapidement une fille, Nasrine, en 1986. Ben Ali dépose Bourguiba, le père de l’indépendance l’année suivante et, un an plus tard, divorce de sa première femme, Naïma Kefi, fille du général qui a parrainé toute sa carrière. Une deuxième fille, Halima, naît en 1992, l’année où le Président se remarie avec Leila Trabelsi.

Une fois légitime, la Première Dame s’attache à combattre les clans concurrents qui gravitent autour du chef de l’Etat. Avec une efficacité certaine. Les frères et sœurs de Ben Ali, qui prospèrent surtout dans la contrebande, le trafic et l’import-export, perdent leur chef de file avec la mort de «Moncef» Ben Ali dans un accident de voiture : il avait été condamné en France à de la prison dans le procès de la «couscous connexion» pour trafic de drogue, mais jamais extradé. Depuis, les Ben Ali se sont repliés sur Sousse, leur ville d’origine pour exercer leur prédation.

Vorace. C’est ensuite au tour des Chiboub de passer sous le joug de «Madame». Ce clan, dont le leader, Slim, un ancien joueur de hand-ball, a épousé la deuxième fille issue du premier mariage du Président, Dorsaf. Rapidement, les Chiboub, qui percevaient des commissions sur les marchés publics, se cantonnent au sport-business. Slim prend la tête de l’Espérance de Tunis, le grand club de football local. Les deux autres filles issues du mariage avec Naïma Kefi, Ghazoua et Cyrine, épousent des hommes d’affaires, respectivement Slim Zarrouk et Marouan Mabrouk, qui bénéficient d’un sérieux coup de pouce. Mabrouk, issu d’une vieille fortune tunisienne, met ainsi la main sur les concessions Fiat et Mercedes ainsi que sur la Banque internationale arabe de Tunisie (Biat) et la grande distribution (Géant et Monoprix). Zarrouk, lui, crée sa propre banque et s’approprie la société de services qui dessert l’aéroport de Tunis. Sa femme, Cyrine, possède la licence téléphonique d’Orange et le fournisseur Internet Planet Tunisie.

Mais rien de comparable avec le nombreux et vorace clan des frères de Leila Trabelsi, dont le chef est incontestablement Belhassen. Il est le «Sonny Corleone» de la famille, le plus violent, le plus avide. Dans les restaurants de Tunis, où l’on n’osait pas lui présenter la note, il avait pour habitude de poser son pistolet sur la table racontent les diplomates américains dans leurs télégrammes révélés par Wikileaks. Il a débuté de la manière la plus fruste, en achetant à bas prix des terrains inconstructibles qu’il faisait ensuite reclasser pour les lotir et les revendre à prix d’or.

Difficile de faire la liste exhaustive de tous les business dans lesquels était Belhassen : les transports aériens (Karthago Airlines, aux dépens de la compagnie nationale Tunisair), les télécoms (Global Telecom Networkings), l’assemblage de camions et de tracteurs (Alpha Ford International), les licences d’importation d’automobiles (Ford, mais aussi Range Rover, Jaguar et Hyundai), le tourisme, les médias (Mosaïque FM et Carthage TV, ainsi que la société de production Cactus TV). Il avait aussi mis la main sur la Banque de Tunisie, dont il a confié la direction à la femme du conseiller et âme damnée du Président, Abdelwahab Abdallah. Il épouse une des filles de Hedi Jilani, le patron des patrons tunisiens, qui avait «placé» une autre de ses filles comme épouse de Sofiane Ben Ali, fils de «Moncef», le frère décédé du Président.

Vol de yacht. Un autre Moncef, frère de Leila, fait fortune dans la construction. Certains rejetons du clan Trabelsi sont carrément des malfrats. A l’instar de Moez et Imed (assassiné samedi par un de ses gardes du corps), des neveux de la Première Dame, commanditaires du vol du yacht de luxe du banquier français Bruno Roger dans le port de Bonifacio. Imed s’était aussi attribué Bricorama et la distribution d’alcool. Mourad Trabelsi trustait la pêche au thon. Najet, une cousine infirmière, devient directrice de l’hôpital Kheireddine de Tunis. La mère de Leila, Hajja Nana, veille aux intérêts de la famille. Son décès, durant la visite de Nicolas Sarkozy, au printemps 2008, expliquera son absence durant les cérémonies officielles. Les avoirs du clan se compteraient en milliards de dollars, sans compter les résidences de luxe à Paris, Courchevel et Saint-Tropez.

Leila Ben Ali, elle, fait dans le caritatif et les bonnes œuvres, à la tête de son ONG Basma. Et s’active pour truster les postes honorifiques, comme la présidence de l’Organisation de la femme arabe. Elle ne néglige pas les affaires pour autant, et quand elle lance un lycée international privé, en association avec Souha Arafat (avec qui elle s’est brouillée et qui a dû s’exiler à Malte), la veuve du président palestinien, elle fait fermer un établissement concurrent.

Mais ce qui intéresse Leila Ben Ali, c’est plus le pouvoir que les affaires. Au point qu’elle nomme et démet hauts fonctionnaires, conseillers présidentiels et ministres. De plus en plus présente sur la scène publique, animant des meetings électoraux, on lui prêtait l’ambition de succéder à son mari, malade, semble-t-il, d’un cancer de la prostate. Son frère Belhassen intègre le comité central du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti quasi unique au pouvoir. Et, miracle de la science, elle aurait donné naissance, le 20 février 2005, à 47 ans, à un héritier mâle, Mohamed, le premier fils de Ben Ali.

Holding. Elle favorise aussi la montée en puissance de Sakher el-Materi, le rejeton d’un général putschiste qui avait failli renverser Bourguiba dans les années 70 et que Ben Ali a réhabilité. Le jeune el-Materi a épousé Nesrine, l’une des deux filles de Leila et de Ben Ali. Son ascension est fulgurante : élu député, il devient plus riche encore que Belhassen, à la tête d’une holding tentaculaire. Il était le visage moderne, boursier et légèrement islamique (la radio coranique Zitouna FM lui appartient et il s’était lancé dans la finance islamique) du régime. L’ambassadeur américain, qui a dîné dans sa villa de Hammamet, raconte y avoir vu un lion en cage à qui l’on servait quatre poulets par jour. Cela lui a rappelé Oudaï, le fils de Saddam Hussein…

(1) Titre du livre de Nicolas Beau et Catherine Graciet consacré au clan Trabelsi et à son influence (La Découverte, 2009)

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SPÉCIAL TUNISIE PORTRAIT
LA COIFFEUSE DEVENUE RÉGENTE

 
TEXTE : YAN PAUCHARD
 
FIN DE RÈGNE
Elle symbolise toute l’arrogance et les excès du système Ben Ali. La seconde épouse du président et son clan se sont accaparé les richesses du pays, poussant l’indécence jusqu’à précipiter la chute du régime. Portrait d’une redoutable manipulatrice.
Durant ces jours historiques, elle n’est pas apparue, cachée, semble-t-il, à Dubaï. Pourtant, l’ombre de Leïla Ben Ali plane encore sur Tunis, tant l’ancienne première dame est honnie de son peuple. Car si, en dix-huit ans de mariage, elle a toujours tenu en public son rôle d’épouse dévouée à son mari, le président Zine el-Abidine Ben Ali, en coulisses, c’est elle qui, aux yeux de tous, dirigeait réellement le pays. «L’ascendance de Leïla était réelle», confirme la journaliste française Catherine Graciet, coauteur du livre La régente de Carthage. Une influence qui s’était accentuée ces dernières années, son époux, 74 ans aujourd’hui, étant affaibli par la maladie (on parle d’un cancer de la prostate). Pour preuve, en mai 2010 elle était la seule personnalité tunisienne à figurer dans la liste des 50 Arabes les plus influents établie par le mensuel The Middle East. «Les décisions importantes n’étaient plus prises au Conseil des ministres, mais dans leur chambre à coucher», ose le politologue Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, à Genève.
FILLE DE LA MÉDINA
Rien ne prédestinait pourtant Leïla, née modestement Trabelsi le 20 juillet 1957, à devenir cette Catherine de Médicis tunisienne, aussi puissante que crainte. Fille d’un vendeur de fruits secs, elle a grandi entourée de dix frères et sœurs à El Hafsia, quartier parmi les plus délabrés de la médina de Tunis. A l’adolescence, elle entre à l’école de coiffure de la rue de Madrid, puis fait ses armes au salon Chez Wafa. Leïla est une jeune femme intelligente, indépendante, au goût prononcé pour la fête, d’où le surnom de Leïla Gin, en référence au fameux alcool. Son ascension sociale sera fulgurante, toujours appuyée par les hommes qui partageront son lit. Il y a d’abord un mariage de trois ans avec Khelil Maaouia, directeur local d’Avis, qui lui permet d’être embauchée dans une agence de voyages. Elle découvre Paris, Rome. Il y a ensuite cette liaison avec Farid Mokhtar, un puissant industriel, beau-frère du premier ministre de l’époque. Grâce à lui, Leïla obtient un poste de secrétaire de direction et fait son entrée dans la bonne société de Tunis. C’est enfin au milieu des années 80 que la jeune femme rencontre le général Ben Ali, alors ministre de l’Intérieur. Elle devient rapidement sa maîtresse. Ils partagent une même ambition. «Sois patiente, nous serons bientôt au palais de Carthage», lui a-t-il dit. Zine el-Abidine Ben Ali tiendra sa promesse. Le 7 novembre 1987, il annonce à la radio avoir démis le vieux Bourguiba pour cause de sénilité. Il devient président et chef suprême des armées. Une année plus tard, l’homme divorce pour épouser finalement, en 1992, Leïla Trabelsi.
RÉGIME POLICIER
Les nombreux espoirs suscités par l’arrivée au pouvoir de Ben Ali seront déçus. Malgré ses promesses, l’ancien chef des renseignements, formé aux sciences militaires en France et aux Etats-Unis, installe un régime policier et autocratique. Les opposants sont arrêtés, torturés, les médias censurés. Décrit comme «peu sûr de lui et paranoïaque», il ne laissera à personne d’autre la gestion de l’appareil sécuritaire. L’homme ne s’intéressera cependant guère aux questions économiques. C’est dans ce domaine que sa femme va étendre inexorablement son pouvoir et, avec elle, les hommes de sa famille, notamment son frère Belhassen Trabelsi, ainsi que son gendre, Mohamed Sakhr El-Materi, mari de Nesrine, sa fille aînée. La Famille, comme on l’appelle en Tunisie, va ériger un empire. Expropriations, extorsions de pots-de-vin, corruption, arrestations, rien n’arrête les Trabelsi. «Ils vont s’accaparer tous les secteurs: transport aérien, banque, médias, automobile, note Catherine Graciet. Jusqu’à mettre la main sur le marché de la friperie, c’est dire.» A Genève, Hasni Abidi confirme: «On peut parler d’une OPA inamicale sur un pays, une opération qui a eu comme conséquence d’affaiblir la bourgeoisie traditionnelle et d’appauvrir la classe moyenne, le socle de la société tunisienne.» Et de précipiter la fin du régime Ben Ali? La question est posée.
Depuis longtemps, en effet, la famille Trabelsi focalise la haine du peuple tunisien, qui ne supporte plus l’enrichissement sans limite de ce clan, son attitude «nouveaux riches», son train de vie bling-bling, et surtout son impunité. Neveu de Leïla, Imed Trabelsi symbolise à lui seul toutes ces dérives. Connu pour sa goujaterie avec la gent féminine et l’amour des voitures de luxe volées (il roulait avec une Mercedes 500 dérobée à Marseille à un footballeur de l’OM), il commandite en 2005 le vol de trois yachts en France. Manque de chance pour lui, l’un des navires, le Beru Ma, appartient à Bruno Roger, un intime de Nicolas Sarkozy. L’affaire fait grand bruit. L’Elysée ne veut pas passer l’éponge, mais hors de question pour Leïla de lâcher Imed. En avril 2008, l’épouse du raïs tunisien se permet, sous prétexte d’un deuil familial, de ne pas être présente lors de la visite de Nicolas Sarkozy et de son épouse, Carla Bruni. Mais personne n’est dupe. La France finira par plier et Imed ne fera jamais un jour de prison.
POIGNARDÉ À MORT
Mais l’enfant terrible des Trabelsi sera rattrapé par ses affaires. Vendredi, alors que le peuple est en passe de renverser le régime, Imed est poignardé à mort. On parle d’un règlement de comptes. La colère des Tunisiens à l’encontre de la Famille explose. Leurs maisons et leurs entreprises sont pillées et incendiées. Belhassen Trabelsi est arrêté par l’armée alors qu’il tente de fuir vers Lyon et placé aux arrêts dans la caserne d’Al Aouina. Le gendre préféré, Mohamed Sakhr El-Materi a, lui, réussi, vendredi, à fuir le pays à bord de son jet privé, direction Montréal, où il possède une luxueuse demeure. Sa femme Nesrine l’y a précédé, accueillie à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau par les huées d’une foule de Tunisiens, prévenus de son arrivée.
La régente Leïla Ben Ali se rêvait présidente, succédant à son époux. C’est depuis la suite d’un palace, après avoir fui avec 1500 lingots d’or dans ses bagages et, peut-être, l’un de ses fameux manteaux Dior à 30 000 euros, qu’elle a assisté, impuissante, à la fin de ses ambitions.
 
POUVOIR
D’abord discrète, Leïla va inexorablement prendre l’ascendant sur son mari, le président Ben Ali, affaibli par la maladie (photo prise en 1987 au palais de Carthage).
ATOUT CHARME
Issue d’un milieu modeste, Leïla Ben Ali connaîtra une ascension sociale fulgurante, aidée par les hommes qui partageront son lit.
LE CLAN QUI TENAIT LA TUNISIE
La belle-famille du président Ben Ali avait fait main basse sur l’économie du pays, instaurant un système quasi mafieux.
LA CHEFFE «LA RÉGENTE»
Après son mariage avec le président Ben Ali, Leïla Trabelsi n’a eu d’obsession que de placer «ses» hommes aux postes clés de l’Etat et de permettre l’enrichissement des siens. Elle est aujourd’hui en exil dans le golfe Persique.
SON FRÈRE «LE PARRAIN»
Belhassen Trabelsi est le plus riche et le plus détesté du clan. A la tête de l’un des grands groupes privés du pays, il est aussi considéré comme le patron de la contrebande en Tunisie. Vendredi, il était arrêté par l’armée.
SON GENDRE «LE PRÉFÉRÉ»
En moins de cinq ans, le jeune Mohamed Sakhr El-Materi a bâti un empire économique sur fond de corruption et de collusion avec l’islam politique. Il serait aujourd’hui en fuite au Canada.
SON NEVEU «LE TERRIBLE»
Homme d’affaires sans scrupules et grossier personnage, Imed Trabelsi s’était fait connaître en commanditant le vol de trois yachts en France. Vendredi, il était poignardé à mort, lors d’un règlement de comptes.
(Source : "L'Illustré"(Magazine-hebdomadaire-Suisse). le 19 janvier 2011)
Lu sur : http://elkhadra.over-blog.com/


Publié dans L'Afrique en lutte

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V
<br /> La mafia libanaise est très puissante et je m'interrogeais sur l'origine du Slim cité dans l'article.<br /> <br /> <br />
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T
<br /> Précise ta pensée Valérie, je ne comprend pas ce que tu veux dire à propos de l'article sur le Liban.<br /> Les articles de qualité ne sont pas toujours faciles à trouver et certains sites étant spécialisés sur certaines régions du monde, il n'est pas toujours possible de sauter un article et d'y revenir<br /> après.<br /> L'ESSENTIEL EST D'ESSAYER D'INFORMER POUR QUE CHACUN Y RETROUVE SON COMPTE<br /> <br /> <br />
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V
<br /> Peu après avoir écrit ce commentaire, je tombe sur un article sur le Liban. Il y a belle lurette que je ne crois plus au hasard.<br /> <br /> <br />
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T
<br /> Je n'arrive pas à lire la partie foncée, je ne trouve pas le fameux SLIM mais tout ça c'est du banditisme, ni plus ni moins<br /> <br /> <br />
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V
<br /> Slim ? Curieux Slim n'est ce pas un nom d'origine libanaise ?<br /> Il y a un Slim qui est un des parrains de la mafia mexicaine, pardon un grand patron qui est une des plus grandes fortunes du Mexique et qui est d'origine libanaise.<br /> A creuser...<br /> <br /> <br />
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