MICHEL PEYRET 22 SEPTEMBRE 2011 : LA DETTE PUBLIQUE, DOUBLE CADEAU DE L'ETAT A LA BOURGEOISIE !

Publié le par Tourtaux

 

Michel Peyret

22 septembre 2011

 

 

LA DETTE PUBLIQUE,

DOUBLE CADEAU DE L'ETAT A LA BOURGEOISIE !

 

 

 

Marx nous l'avait déjà dit, voir mon article : « Marx, les impôts, la dette et l'Etat. »

 

Mais il nous faut y revenir, tant il en est qui se multiplient à souhait pour brouiller les cartes, à commencer bien évidemment par le « chef de l'Etat », Etat capitaliste bien sûr, c'est une occasion supplémentaire de le vérifier, si toutefois c'était encore à vérifier.

 

Nous allons toutefois le faire à nouveau, en faisant appel à Alain Bihr, que nous avons déjà maintes fois sollicité sur divers sujets. Ses contributions sont précieuses, qui plus est quand elles contribuent à faire vivre le débat, débat indispensable quand on a pris conscience que, dans un monde qui bouge en permanence, il n'est pas de vérités révélées ni éternelles.

 

C'est pourtant ce que nous propose Alain Bihr dans son article : « Sommaire rappel de quelques vérités élémentaires sur la dette publique », qu'il écrit en 2005.

 

LA DETTE, AUTOUR DE 20% DU BUDGET

 

Pour Alain Bihr, tout au long des dernières années, l'endettement public n'a cessé de croître. Pourquoi ?, interroge-t-il.

 

Il est vrai que le service de la dette représente aujourd'hui autour de 20% du budget de l'Etat français, soit cinq fois plus que le déficit de ce même Etat.

 

Autant dire que la dette antérieure est largement responsable des nouveaux endettements actuels ; que la dette entretient et aggrave la dette ; bref que l'Etat est surendetté.

 

Cependant, dit-il, serait-ce là la seule raison de la poursuite de ce processus constamment décrié ?

 

On a quelques raisons d'en douter...

 

Aussi, Alain Bihr va-t-il commencer par rappeler ce qu'est la dette publique.

 

LES CAUSES DE LA DETTE

 

C'est, dit-il, la différence (négative) entre les recettes de l'Etat au sens large, et ses dépenses.

 

Par conséquent, poursuit-il, pour mettre fin à la dette publique, on dispose de deux moyens...

 

D'une part, on peut chercher à réduire les dépenses de l'Etat et c'est ce qu'ont privilégié les gouvernements successifs...à coup de compression de personnels, de stagnation voire de baisse des salaires réels, de dégradation de la quantité et de la qualité des équipements et services publics...

 

Il s'agit de la qualité de vie de la population, mais encore de la capacité même du capital lui-même à assurer les conditions de ses propres performances, voire tout simplement de sa propre reproduction... par exemple les conditions de reproduction de la force de travail.

 

D'autre part, on peut chercher à accroître les recettes de l'Etat, mais là encore, la marge est limitée...

 

En bref, résume-t-il, la dette publique résulte de l'écart existant entre le coût de la part incompressible des dépenses publiques au sein de laquelle intervient la part socialisée du coût de reproduction du capital ; et le montant des recettes fiscales de l'Etat, essentiellement limitées par des raisons politiques, au premier rang desquelles figure le fait que les classes et couches aisées de la population ne sont pas mises à contribution au niveau où elles pourraient et devraient l'être.

 

LA DETTE : DES BONS DU TRESOR ET DES OBLIGATIONS

 

« Que va faire l'Etat pour faire face à cet écart ? Il va s'endetter, autrement dit, il va emprunter, essentiellement sous forme de bons du Trésor et d'obligations, la différence entre ses recettes et ses dépenses.

 

« Et, auprès de qui emprunte-t-il ainsi ?

 

« Essentiellement auprès de ceux qu'on appelle « les zin-zins », les investisseurs institutionnels : grandes banques, compagnies d'assurances, fonds de placement, fonds de pension, etc...

 

« En un mot, les organes du capital financier concentré et socialisé. »

 

Evidemment, poursuit Alain Bihr, ces organes ne placent pas ainsi (car il s'agit d'un placement rémunérateur) seulement leurs fonds propres.

 

« Mais encore et surtout toute la part des salaires, profits, intérêts, rentes qui ne sont pas immédiatement dépensés comme revenus ou avancés comme capitaux additionnels, qui se concentrent évidemment entre les mains des membres de la bourgeoisie mais aussi de l'ensemble des couches aisées de la population et que ceux-ci placent eux-mêmes auprès des « zin-zins » en question. »

 

LE TOUR DE PASSE-PASSE

 

On devine maintenant, ajoute Alain Bihr, le tour de passe-passe dont la dette publique est le moyen.

 

« L'argent que ces mêmes personnes ne se voient pas exigé de l'Etat en leur qualité de contribuables sous forme d'impôt, elles l'avancent à ce même Etat sous forme de prêts rémunérés.

 

« Autrement dit, non seulement l'Etat ne leur soustrait pas la part de leur revenu qu'il serait en capacité d'exiger d'elles (puisqu'elle existe et qu'elle fait partie de ce qui excède de toute manière leurs dépenses courantes) et qu'il serait en droit d'exiger d'elles (au nom de l'équité fiscale qui demande que chacun soit imposé à la mesure de ses capacités contributives).

 

« Mais, de plus, il rémunère cette part sous forme d'intérêts sur les bons et les obligations d'Etat.

 

« En un mot, la dette publique est le mécanisme magique par lequel une partie des revenus excédentaires des catégories fortunées ou aisées de la population non seulement ne leur est pas soustraite mais se trouve, de surcroît, transformée en capital (fictif) porteur d'intérêts. »

 

Mais, insiste Alain Bihr, là ne s'arrête pas le tour de passe-passe.

 

S'APPROPRIER DES PARTS CROISSANTES DU REVENU SOCIAL

 

Car, dit-il le processus précédent implique encore que les titres de la dette publique sont autant de droits à valoir sur une partie des impôts, donc sur la partie du revenu général de la société que l'Etat prélève bon an mal an.

 

Ils sont donc aussi un moyen pour la partie la plus fortunée ou la plus aisée de la population, celle qui s'approprie déjà la part la plus substantielle du revenu social, d'accaparer une part supplémentaire de celle-ci, donc de s'enrichir davantage encore.

 

Ce qui s'accompagne inévitablement de transfert de revenus à rebours, des couches moins aisées vers les couches plus aisées.

 

« La dette publique, conclut là Alain Bihr, est donc non seulement un facteur d'aggravation des inégalités sociales ; mais encore un mécanisme d'une parfaite injustice qui consiste, à l'envers de ce que faisait Robin des Bois, à piquer de l'argent aux plus pauvres et aux moins riches pour en donner aux plus riches. »

 

Alain ne s'en tient pas là, il n'en a pas terminé.

 

SE PREMUNIR CONTRE LES RISQUES

 

« L'intérêt que présente l'existence de la dette publique pour la bourgeoisie est cependant encore plus large.

 

« Elle remplit en effet une seconde fonction qui intéresse plus spécifiquement sa fraction financière. »

 

Il s'en explique.

 

« L'activité capitaliste est par nature une activité risquée. On y avance du capital (sous forme de capital-argent) en espérant qu'au terme d'un processus plus ou moins complexe, passant par des médiations multiples, ce capital fasse retour engrossé d'une fraction de plus-value (selon le cas sous forme de profit industriel, de bénéfice commercial, d'intérêt).

 

« Le résultat n'est jamais assuré ; et courir pareil risque et y échapper feraient la grandeur et la vertu des capitalistes, aux yeux de leurs admirateurs et défenseurs.

 

« De ces risques, les capitalistes (qui ne sont pas tous des aventuriers, loin de là) cherchent cependant à se prémunir.

 

« C'est le cas notamment pour les financiers, ceux qui réunissent du capital de prêt pour le mettre à la disposition des industriels et des négociants ; ou pour le valoriser dans les jeux de la spéculation financière, jeux par définition hautement risqués. »

 

L'ETAT OFFRE LES MEILLEURES GARANTIES

 

Pour Alain Bihr, parmi les techniques les plus éprouvées et par conséquent les plus courantes pour se prémunir de risques excessifs figure celle qui consiste, pour un même capital financier, à diversifier autant que possible ces placements (selon l'adage qui recommande de ne pas mettre tous les oeufs dans le même panier); et à contrebalancer des placements risqués mais aux perspectives alléchantes par des placements peut-être moins rémunérateurs mais sans grand risque.

 

« Or, dit-il, de tous les débiteurs, l'Etat est incontestablement celui qui offre, de loin, les meilleures garanties. Tout simplement parce que, contrairement au premier capitaliste venu, il n'est pas lui-même exposé aux risques inhérents à la valorisation du capital : pour rembourser ses dettes, il n'est pas nécessaire que ses affaires aillent bien, que le capital qu'il a emprunté puisse normalement et correctement se valoriser. Il lui suffit de lever des impôts, ce qu'il parvient toujours à faire. Même un surendettement sévère, qui ne serait toléré de la part d'aucun capitaliste, donne simplement lieu, dans son cas, à un rééchelonnement de la dette...

 

« Autrement dit, en finançant la dette des Etats, le capital financier force aussi ces derniers – et avec eux leur peuple – à se porter garant de toutes les aventures financières.

 

« On s'en rend compte chaque fois que ces aventures tournent mal : les 120 milliards de francs perdus par le Crédit Lyonnais sont restés intégralement à la charge des contribuables français.

 

« Selon le bon vieux principe : socialisons les pertes, mais privatisons les bénéfices. »

 

L'ETAT SOUS DEPENDANCE

 

Alain Bihr va, enfin, mettre en évidence une dernière fonction que remplit la dette publique et qui n'intéresse pas moins la bourgeoisie dans son ensemble, par l'intermédiaire du capital financier.

 

L'endettement de l'Etat, dit-il, qui en fait le client obligé du capital financier, le place en situation de dépendance par rapport à ce dernier.

 

Comme tout débiteur contraint de sans cesse faire appel aux « largesses » de ses créanciers, l'Etat (c'est-à-dire les gouvernements successifs) se doit évidemment de se plier non seulement aux conditions du marché (au niveau des taux d'intérêts exigés) ; mais satisfaire aux demandes plus générales (mener une politique, notamment économique, favorable aux intérêts de la bourgeoisie en général et du capital financier en particulier) ou aux desiderata particuliers de tel ou tel groupe financier (ce qui ouvre toute grande la voie au régime des copains et coquins – la dette publique est ainsi nécessairement vectrice de corruption).

 

« On comprend aussi, dit-il, que, à partir de là, sauf à pouvoir s'appuyer sur une solide assise populaire, aucun gouvernement fortement endetté ne peut résister aux injonctions du capital financier et du capital tout court.

 

« Et pourquoi tant de gouvernements, faute d'une telle mobilisation populaire, tournent aussi vite casaque, renient leurs engagements pour passer sous les fourches caudines de la bourgeoisie.

 

« Bref, la dette publique est l'un des deux principaux moyens d'instrumentalisation directe de l'appareil d'Etat par la bourgeoisie ; l'autre étant évidemment l'occupation des sommets de l'Etat (gouvernement et haute administration) par des membres issus de la bourgeoisie elle-même. »

 

ANNULER TOUTES LES DETTES

 

Pour Alain Bihr, on comprend aussi combien l'antienne néo-libérale sur le caractère insupportable de la dette publique est du pipeau, uniquement destinée qu'elle est à amuser la galerie en détournant l'attention des véritables fonctions de cette dette ; et, accessoirement, à justifier des réductions d'impôts qui ne profitent qu'aux plus aisés...et qui sont le gage d'un endettement futur supplémentaire de l'Etat, qui profitera une seconde fois aux mêmes.

 

Aussi, pour lui, la solution s'impose d'elle-même : « Il faut purement et simplement annuler toutes les dettes publiques, non seulement celles des Etats du Tiers-Monde mais celles des Etats capitalistes développés.

 

« Et que les petits et grands financiers ne viennent surtout pas crier au crime expropriateur : ce ne serait qu'une manière de leur faire payer les impôts qu'on était en droit d'exiger d'eux depuis longtemps.

 

« Qu'ils soient déjà heureux qu'on ne leur fasse pas payer, de surcroît, des pénalités de retard. »

 

Et mes lecteurs savent bien que, avec Alain Bihr, on ne s'en tient pas là pour régler des comptes, sinon régler leurs comptes, au capitalisme et à son Etat !

 

(« A Contre-Courant », n°162, février-mars 2005)

Publié dans Lutte des classes

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