SARKOZY LE GOINFRE AVALE LA CAGNOTTE DU MINISTERE DE L'INTERIEUR
Dans la plus grande discrétion, le président de la République a mis la main sur la “réserve” du ministre de l'Intérieur, une cagnotte dotée de plusieurs millions d'euros par an. Ce «hold-up», selon le mot des socialistes, permet à Nicolas Sarkozy de distribuer des subventions au bénéfice de collectivités choisies dans le secret de son cabinet. L'opacité est totale, mais Mediapart a quand même trouvé quelques bénéficiaires.
LEMONDE.FR | 15.11.11 | 14h53 • Mis à jour le 15.11.11 | 17h17
L'ombre d'un doute plane sur la "réalité" du budget de l'Elysée présenté lundi 14 novembre à l'Assemblée nationale. Défendant la "gestion rigoureuse" de la présidence de la République, la ministre du budget, Valérie Pécresse, a insisté sur une réduction de 0,5 % des crédits de la présidence, qui devraient s'élever à 111,7 millions d'euros en 2012.
Pourtant, une intervention en séance de René Dosière (apparenté PS, Aisne) a éveillé le soupçon. Le député s'est élevé contre un "hold-up" de la présidence de la République sur une partie des crédits du ministère de l'intérieur. Remous sur les bancs de la majorité, où l'on dénonce des accusations "pitoyables", "scandaleuses".
"[L'Elysée] a décidé depuis un certain temps, poursuit M. Dosière, que ce que l'on peut appeler la réserve ministérielle du ministère de l'intérieur soit désormais attribuée par les membres de son cabinet alors que la gestion administrative continue à être celle du ministère de l'intérieur. Pour 2012, cela porte sur 19 millions d'euros d'autorisations d'engagement." La ministre n'a pas contesté.
DES "AIDES EXCEPTIONNELLES" AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES.
Et pour cause. Depuis 2009, en effet, Nicolas Sarkozy s'est approprié l'attribution d'une partie de cette réserve destinée à apporter des "aides exceptionnelles" aux collectivités territoriales. Leur objet reste a priori le même mais l'institution qui décide de leur allocation change.
Dans une lettre datée du 23 octobre 2008 que Le Monde s'est procurée (voir ci-dessous), le président de la République fixe à Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l'intérieur, ses exigences : "Les services de la Présidence étant fréquemment saisis de demandes d'aides de cette nature, je souhaite que les deux tiers de ces crédits, y compris pour la partie qui relève du ministère des finances, fassent désormais l'objet d'une programmation décidée au niveau de mon cabinet. La gestion administrative continuera à être assumée par votre ministère. Nos collaborateurs ont déjà eu l'occasion de préciser les modalités pratiques de mise en œuvre de ces dispositions."
Dans une question écrite publiée au Journal officiel du 27 janvier 2009, Jean-Jacques Urvoas, député (PS) du Finistère, s'était déjà interrogé sur cette "réorganisation" des crédits du ministère de l'intérieur. Dans la réponse publié au JO du 10 mars, la ministre assurait que " les aides exceptionnelles versées au titre des subventions pour travaux divers d'intérêt local relèvent toujours des programmes du ministère de l'intérieur."
19 MILLIONS D'EUROS EN 2012
La pratique instaurée par M. Sarkozy est inhabituelle. Et elle pose questions. Tout d'abord, c'est la mise en évidence du passage sous tutelle de l'Elysée des ministères depuis le début du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Celui-ci, qui a occupé les fonctions de ministre de l'intérieur, n'ignore rien de l'importance de ces crédits, qui sont d'abord des secours d'urgence des des situations exceptionnelles. En s'en appropriant la programmation, la présidence de la République compte aussi s'en assurer les bénéfices politiques.
Or il s'agit là d'une somme non négligeable. Le montant cité par M. Dosière – 19 millions d'euros en 2012 – ne porte en effet que sur les autorisations d'engagement prévues dans le projet de loi de finances initiale. Or, précisément, cette ligne budgétaire, concernant les aides exceptionnelles, est régulièrement abondée en cours d'exercice par voie d'amendements pour faire face à des situations d'urgence. Lorsque le projet de loi de finances initiale pour 2009 prévoyait 9 millions d'euros en autorisations d'engagement, elles se sont élevées à 157,9 millions en 2010, 137,7 millions en 2011.
La question soulevée est aussi celle de la sincérité des comptes présentés par l'Elysée. Hors cette substitution opérée sur les crédits du ministère de l'intérieur, d'autres ministères ont-ils été mis à contribution ? L'Elysée prône pourtant la "transparence" des comptes. Dans son intervention, M. Dosière s'interrogeait sur un possible "détournement constitutionnel". Il va falloir, en tout cas, que la présidence de la République justifie de l'utilisation par son cabinet des crédits du ministère de l'intérieur.
Patrick Roger