SECURITE ROUTIERE : L'ETAT CONDAMNE PAR LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

Publié le par Tourtaux

Sécurité routière :
l'État condamné par l'Europe
Par Angélique Négroni Mis à jour le 08/03/2012 à 16:03 | publié le 08/03/2012 à 14:21

Dans trois arrêts rendus, la France est condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme. Trois automobilistes qui contestaient leurs amendes n'ont pas pu saisir un tribunal. Ils ont, en plus, payé et perdu leurs points.

L'État français va devoir améliorer les droits des automobilistes qui ne peuvent dans, bien des cas, contester une infraction de la route en portant le litige devant un tribunal. La Cour européenne des droits de l'homme vient de rendre ce jeudi trois arrêts. A chaque fois, trois condamnations de l'État français. Dans ces trois dossiers, les juges estiment qu'il y a eu violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme qui indique que «toute personnes a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal».

Dans ces trois cas, celui qui barre la route injustement à un tribunal est un OMP (officier du ministère public) - en l'occurrence un commissaire qui devient procureur pour traiter les millions d'infractions routières des quatre premières classes. A chaque fois, ces trois fonctionnaires n'ont pas tenu compte de la contestation des P.V par les trois automobilistes. A tort, soulignent très précisément les juges. «Les requérants ont clairement indiqué contester l'infraction et, dans une lettre d'accompagnement, ils ont dûment précisé leur motifs». Bref, et même si le droit routier est très formaliste, les automobilistes avaient respecté les règles: les délais, les courriers motivés… En conséquence, leur contestation aurait dû être retenue et aboutir à la saisine d'un juge. Au lieu de cela, la somme consignée - comme le veut encore notre droit français - a été encaissée, ce qui a eu pour conséquence d'éteindre l'action publique. Les usagers de la route ne peuvent donc plus frapper à la porte d'un tribunal.

Trop de Français renoncent à poursuivre l'État

«Un scandale», selon Me Rémy Josseaume, qui est l'un des trois automobilistes ayant porté l'affaire devant la Cour européenne. «Les deux autres victimes sont d'ailleurs aussi des avocats», dit-il «Cela signifie que, nous avocats, connaissons nos droits et n'hésitons pas à saisir la juridiction européenne et cela à moindre frais. Mais combien d'automobilistes renoncent à batailler avec l'État? Des milliers assurément», insiste le spécialiste. D'autant, qu'à chaque fois, les sommes en jeu sont assez modiques. Pour ces trois affaires: 68 euros d'amende pour deux excès de vitesse et 11 euros pour un stationnement non payé.

Parfois, des particuliers sont décidés à saisir la Cour européenne cherchant, dans ce cas, à sauver leurs derniers points de leur permis. Car, rappelons, en effet, qu'en plus de ne pouvoir se défendre devant un juge, les automobilistes perdent des points!

Déjà trois autres affaires ont été jugées dans le même sens par la Cour européenne. La plus ancienne date de 1996. L'une d'elles a abouti, comme le veut la procédure, devant le Comité des ministres du Conseil de l'Europe. A charge pour ce dernier de voir avec le pays concerné, comment changer la législation pour éviter de nouveaux dérapages. «Force est de constater que l'État français n'a rien modifié», dénonce Me Josseaume. En 1996, la Chancellerie avait adressé une circulaire pour rappeler le rôle des OMP. Il y était indiqué: «lorsque les conditions de recevabilité sont remplies, la contestation doit obligatoirement être portée devant la juridiction de jugement». Une piqûre de rappel qui, de toute évidence, n'a pas été suffisante.

L'État condamné à indemniser un automobiliste 

  • Flashé par un radar automatique,un automobiliste qui contestait une amende de 68 euros a obtenu la coquette somme de 965 euros.
    Flashé par un radar automatique,un automobiliste qui contestait une amende de 68 euros a obtenu la coquette somme de 965 euros. Crédits photo : Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro

    Le montant d'une amende contestée avait été encaissé au lieu d'être consigné, une pratique dénoncée par la Cour européenne des droits de l'homme. 

    Reconnaissant ses torts, le gouvernement français vient d'adresser la coquette somme de 965 euros à un automobiliste qui contestait une amende de 68 euros pour excès de vitesse. Un dédommagement obtenu, plus de deux ans après les faits, par un Parisien de 41 ans qui n'a pas hésité à porter son affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme.

    Par-delà cette petite victoire personnelle, les enjeux de cette décision sont importants selon l'avocat de ce conducteur, Me Jean-Baptiste Le Dall. Le gouvernement a été contraint de reconnaître que son OMP (officier du ministère public) - un commissaire qui devient procureur pour traiter les millions d'infractions routières des quatre premières classes - avait bafoué les droits du conducteur. En l'occurrence, il l'a empêché d'accéder à un juge, ce qui constitue une violation de la convention européenne des droits de l'homme qui indique dans son article 6 : «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal.»

    Or pour les avocats de droit routier, le cas de ce Parisien est malheureusement fréquent. Flashé par un radar automatique, ce dernier avait contesté la contravention et comme le veut la procédure il avait envoyé à l'OMP «une requête en exonération». «Tout avait été respecté dans la forme comme en a convenu la Cour européenne : l'envoi par lettre recommandée, les délais, la lettre motivée…», signale son avocat. De même, et comme le veut la règle, il y avait eu consignation de la somme réclamée. Or l'OMP a quand même considéré que la forme n'avait pas été respectée et a transformé cette consignation en paiement. Ce qui a eu pour conséquence d'éteindre l'action publique. L'automobiliste ne pouvait donc plus frapper à la porte d'un juge.

    Avec cette saisine, c'est la première fois que les magistrats européens ont eu à se prononcer sur ce genre de dossier. Jusqu'alors, ils avaient eu à connaître deux affaires similaires en 2002 et 2006, mais en dehors du système des radars automatisés et de cette obligation de consignation. Dans cette dernière décision, il y est écrit : «Le gouvernement reconnaît qu'en l'espèce il y a eu violation de l'article 6 du fait que le requérant a été indûment privé de la possibilité de contester l'amende devant un tribunal.» Pris en faute par le biais d'un de ses agents, l'État français a préféré négocier et verser 965 euros plutôt que d'aller jusqu'au jugement.

     

    Interminables tracasseries administratives

    Pour Me Le Dall, il serait temps que ces abus cessent. Un souhait partagé par nombre de confrères qui dénoncent régulièrement ces dérives, mais aussi par l'association 40 millions d'automobilistes qui fin 209 avait lancé une action collective contre l'État devant la même Cour européenne. Peu avant, en 2006, une circulaire de la Chancellerie avait pourtant été adressée pour rappeler le rôle de ces OMP. Il y était indiqué : «Lorsque les conditions de recevabilité sont remplies, la contestation doit être obligatoirement portée devant la juridiction de jugement.»

    «L'automobiliste doit défendre ses droits», insiste Rémy Josseaume, juriste et spécialiste du droit routier. Mais entre les faibles sommes en jeu et la perspective d'interminables tracasseries administratives, bon nombre d'usagers de la route renoncent, selon lui, à croiser le fer avec l'État. Seuls certains sont décidés à batailler. Ceux-là en général cherchent à sauver les derniers points de leur permis.

Publié dans Politique

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