ARDENNES : UNE MAIN D'OEUVRE GRATUITE ?
Chômeur ou travailleur ?
Tandis que la justice se penche sur le cas d'Ardennes Forge, d'autres cas douteux sont mis au jour. Le témoignage d'un chômeur qui n'a pas été dupe…
CHAUFFEUR de poids lourd, Franck Habart est demandeur d'emploi depuis un an. Début août, il est donc plutôt content quand sa conseillère du Pôle Emploi lui dit avoir trouvé une offre susceptible de l'intéresser.
« J'ai été surpris. Il s'agissait d'un poste de chef d'exploitation dans une entreprise à Prix-lès-Mézières. Pas franchement le profil pour moi. Je lui fais part de mes inquiétudes mais elle me rassure. »
Début septembre, Franck effectue un stage. Mais il se rend vite compte que le travail qu'on lui demande est celui d'un manutentionnaire. Rien à voir avec le poste qu'on lui avait fait miroiter.
« Une main-d'œuvre gratuite »
Il interroge la conseillère, puis le chef d'entreprise. Au bout de quatre jours, celui-ci indique à Richard qu'il ne donnera pas suite à cet essai. « Vous n'avez pas le déclic. » Notre chômeur répond : « Mais comment me juger ? Je n'ai fait que de la manutention… »
Clairement, Richard a le sentiment d'avoir été exploité. « Une main-d'œuvre gratuite, quoi. »
Cet essai a été réalisé dans le cadre d'une EMT (évaluation en milieu de travail). A priori pas censée déboucher sur une embauche.
Car dans ce cas, il s'agirait d'une EMTPR, évaluation préalable au recrutement.
« Les conseillers du Pôle Emploi ont joué les étonnés. Moi, je suis convaincu d'avoir été berné. J'ai travaillé pour rien. Tout bénéfice pour le patron en question, qui est même indemnisé, en plus… »
Surtout que depuis, Richard a appris que le Pôle Emploi n'avait jamais recensé d'offre d'emploi concernant un « chef d'exploitation ».
La suite en justice
Gêné aux entournures, depuis, le chef d'entreprise aurait promis de payer ce demandeur d'emploi devenu l'exemple type d'une main-d'œuvre bon marché.
Exemple isolé ou dérive généralisée ?
Alors que la justice s'intéresse au dossier Ardennes Forge, à Nouzonville, où des dispositifs d'insertion et de formation (et les fonds qui vont avec) auraient été détournés de leur objet, la conseillère régionale PCF Michèle Leflon s'est déjà inquiétée d'EMT douteuses dans des entreprises de la vallée.
Idem du côté des syndicats nationaux du Pôle Emploi.
Certes, déjà ancien, le principe de l'EMT peut être un intéressant pour remettre le pied à l'étrier d'un chômeur de longue durée.
Mais faut-il qu'il ne soit pas prétexte à masquer les statistiques ou à offrir des intérimaires gratuitement à des entreprises peu regardantes sur la loi…
En attendant, Richard n'exclut pas de saisir un avocat et la justice.
Philippe MELLET
Source : L'UNION