LA COUR D'APPEL DE DOUAI VIENT DE RENDRE LA DIGNITE A DIX ANCIENS MINEURS MAROCAINS QUE LA DIRECTION DES HOUILLERES AVAIT DISCRIMINE

Publié le par Tourtaux

La « dignité retrouvée » des mineurs marocains

 
 

Si l'ANGDM se pourvoit en cassation, Me Bleitrach et ses clients saisiront la Cour européenne de justice.

 

Si l'ANGDM se pourvoit en cassation, Me Bleitrach et ses clients saisiront la Cour européenne de justice.

La cour d'appel de Douai vient de reconnaître qu'en refusant le rachat de leurs avantages en nature de par leur nationalité, les Houillères avaient discriminé dix anciens mineurs marocains. Voici l'histoire de ces hommes qui voulaient juste être des gueules noires comme les autres.

 

 

 

« On se disait que la France, c'était le paradis, qu'on allait travailler en chemise et gants blancs. En arrivant, ça a été le choc ! On descendait à 800 m sous terre, on logeait dans des baraquements, avec les toilettes dehors et sans eau chaude. » Bachar Ihdih avait 18 ans quand il a débarqué dans le Nord - Pas-de-Calais, à Condé-sur-l'Escaut. La terre promise... Comme lui, ils sont des milliers de Marocains, Berbères du sud pour la plupart, à avoir vécu cette même histoire au début des années 1960. « Les Houillères venaient nous chercher dans les villages de montagne parce qu'elles savaient qu'on n'allait pas à l'école. On signait sans savoir ce qui nous attendait. On croyait qu'en France, il suffisait de marcher sur le trottoir pour ramasser les billets », sourit Hamid Oukattou.
« Des esclaves modernes » Les méthodes de recrutement étaient quasi militaires. Réunis dans des stades ou des cours de collège à Ouarzazate, Marrakech et Agadir, les candidats, nus, étaient examinés de la tête aux pieds par un médecin des mines. « Ils regardaient nos yeux, nos dents, notre tour de poitrine. Et puis ils nous collaient une pastille sur la peau : verte pour ceux qui étaient aptes, rouges pour les autres », se souvient Lhacen Azeroual.


« Ils étaient des esclaves modernes », estime Me Marianne Bleitrach, l'avocate lensoise de l'association des mineurs marocains du Nord - Pas- de-Calais (AMMN) depuis 2006. Des analphabètes costauds, comme ils le disent eux-mêmes, prêts à toutes les concessions pour gagner la France et quelques billets. « On nous disait 60 francs par jour et l'embauche garantie au bout d'un contrat de 18 mois », relate Bachar.
Chimère. Le seul objectif de Charbonnages de France à l'époque était de produire un maximum avant la fermeture programmée des mines. Avant le retour au pays, silicose en prime, de tous ces hommes précaires et donc forcément dociles...
Mais c'était sans compter sur « la formidable capacité d'adaptation » des travailleurs marocains, souligne Josette, la secrétaire de l'AMMN, qui fut une de celles à leur donner des cours de français. Conscients d'avoir été roulés dans la poussière de charbon, ils unissent leurs forces et se mettent pour la première fois en grève en 1981. « On était tous pareils au fond de la mine. Pourquoi pas dehors ? » défend Bachar. Sans soutien politique, sans organisation syndicale, sans aucun poids électoral puisqu'ils n'ont pas le droit de vote, le mouvement est voué à l'échec. Mais les mineurs marocains résistent aux menaces des Houillères et finissent par obtenir le statut du mineur, l'égalité des droits avec leurs « camarades français ». Enfin, en théorie...
En accédant à la gratuité du logement et du chauffage, les mineurs marocains ont vu leurs conditions de vie s'améliorer. Mais leur avenir en France reste incertain. Quand survient la fermeture des premiers puits de mine en 1987, ils n'ont à nouveau pas d'autre issue que la grève, soutenue cette fois par la CGT, pour obtenir le droit de choisir librement entre le retour au pays et la réinsertion en France. « Retourner au pays ? D'accord, mais comment je me soigne là-bas ? Et puis on avait fondé des familles. Nos enfants étaient français et ne voulaient pas partir. Ils auraient pleuré comme nos parents ont pleuré quand on a quitté le Maroc. Notre histoire n'est faite que de larmes », commente Thami.
40 000 E d'indemnités Alors les mineurs marocains ont choisi de rester. Mais à quel prix ? Analphabètes, ils n'ont pas pu suivre les formations de reconversion proposées par les Houillères. Et quand leurs copains français étaient embauchés chez EDF ou à la Générale des Eaux, eux n'avaient plus que le bâtiment pour se consoler. Le congé charbonnier de fin de carrière ? La plupart n'avaient pas l'ancienneté suffisante pour y prétendre et touchent aujourd'hui des pensions de misère. Quant au rachat des avantages en nature (logement et chauffage), il n'était accordé qu'aux ressortissants de la communauté européenne. Et il aura donc fallu près de vingt ans et l'obstination de dix anciens mineurs marocains pour que ce dispositif soit reconnu discriminatoire. D'abord par les prud'hommes en mars 2010 et maintenant par la cour d'appel de Douai, qu'avait saisie l'ANGDM (ex-Charbonnages de France). « La justice a estimé que mes clients ont été privés, de par leur nationalité, de la possibilité de se constituer un patrimoine susceptible d'être transmis à leurs descendants.
C'est bien la reconnaissance d'une discrimination. C'est un symbole extraordinaire », se félicite Me MarianneBleitrach qui a obtenu 40 000 E de dommages et intérêts par mineur. « Mais notre but n'était pas l'argent, insiste Lhacen Azeroual . C'était la dignité retrouvée. »w

 

Source Patrice BARDET

Publié dans Lutte des classes

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Commenter cet article
T
<br /> Une sorte d'apartheid ENVERS CES OUVRIERS. LE TRAVAILLEUR MAROCAIN QUI A LA REPUTATION D'ETRE RICHE OUVRIER A SUBI L'ESCLAVAGE MODERNE MAIS L'ESCLAVAGE QUAND MEME.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> La colonisation à l'intérieur de nos frontières : ni plus, ni moins. Oui, ce sont des procédés de colons, de mépris et d'arrogance. Muriel<br /> <br /> <br />
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